vendredi 28 juillet 2017
Quelques mots, entre deux pages de traduction, pour laisser la trace d'un moment de bonheur, comme une tache d'encre au coeur de la craquelure du livre...
Cela faisait environ vingt-cinq ans que Prague était inscrit à notre firmament. 
Prague présente un attrait singulier, c'est un lieu qui diffuse à rebours ses enchantements. Sa magie s’empare avec discrétion du voyageur et s’impose à l’esprit et aux sens par petites touches ; Prague, à la différence de Venise, par exemple, se vit avec un peu de recul, trois pas de côté ou en arrière. Sa beauté n'assaille pas de plein fouet. Cette ville est mystérieuse comme le cœur triste et torturé de Kafka, et elle ne susurre ses secrets qu'à l'oreille fine. Nous y sommes restés seulement quatre jours et trois nuits, mais j’espère y revenir avant ma mort. Le véritable charme de cette presque miniature est donc de s’emparer de vous comme par inadvertance. Prague est la ville baroque par excellence, qui, selon Jankélévitch, qui y vécut cinq ans, est l'aveu de la tentation. Le baroque est une prédilection pour les formes instables, saisies dans leur fragile équilibre, tout au bord des toits. L’objet penché exprime la condition de l’homme sur le point de céder à la pesanteur du péché, de la sensualité. Il ne tient qu’à un fil, celui du péché et lutte contre l’obsession de la précipitation dans le vide. Surprendre la conscience en instance de l'acte, c’est un problème de flagrance, c’est celui de Jankélévitch, qui a développé dans sa philosophie une éthique du baroque, de l’homme en suspens. 

Je n'ai cessé de penser au philosophe en découvrant la ville, où nous nous étions aussi rendus pour assister à un récital de Bryn Terfel, que ma fille adore plus que tout. Nous avons eu la chance de le rencontrer, ainsi qu'Hannah, la fiancée de Bryn, belle harpiste, qui attendait alors la petite Lili (née en mai dernier). A. est vraisemblablement la plus jeune ou l'une des plus jeunes fans de Bryn !


Elle n'avait que 3 ans et demi lorsqu'elle commença à sérieusement s'intéresser à lui et le vit sur scène, pour la première fois, à 4 ans, puis attendit moins d'un an de plus pour être portée (soulevée dans les airs !) par les bras du doux géant gallois ! Pour apprécier l'anecdote, il faut savoir qu'A. a fait du simple porté un art majeur, elle qui n'aime rien tant que les ballets... Trop jeune pour apprécier l'éloge de la phorie par Michel Tournier, A. laisse néanmoins entendre qu'elle a l'intuition de certains gestes philosophiques qui conditionnent toute une vision du monde... Depuis cet instant, qui ouvrit l'opercule du rêve, A. n'a de cesse de suivre la carrière du très célèbre baryton-basse, qui est un homme à la voix et au coeur d'or. Un petit oiseau m'a dit que la demoiselle ne devrait pas attendre trop longtemps avant de le revoir, à Paris, cette fois-ci... Nous lui offrons tout ce que le Ciel permet, tant qu'il le permet. Le bonheur est une avance prise sur le malheur, qui, lui, nous fait toujours payer comptant et triple. Je m'élance dans l'existence sans aucune assurance, sinon celle de l'instant présent et friable. J'ai toujours haï la fourmi au coeur sec de la fable...














[A. a toujours une paire de chaussures pailletées à sa taille ! J'y veille !]

[La très belle Maison Municipale (Obecní dům) de Prague — décorée par Alfons Mucha — où se tint le concert de Bryn Terfel.]












[La célèbre Petite Taupe de  Zdeněk Miler.]






[Quelques marionnettes pragoises ont élu domicile chez nous, dont celle, sublime, de mon personnage fétiche, Pinocchio, offerte par mon Amour.]


[Holly et ses célèbres « baggy eyes » à la Barrie...]






Les marionnettes, Mucha et Kafka sont les principales « attractions » de la ville (je résume bien vite, mais, en trois jours, il n'est guère aisé de faire mieux et il est, de toute façon, vrai que Mucha et Kafka sont les deux polarités de la ville). Pour le premier, mon attirance est assez ancienne et je suis attachée au second comme le cafard l'est à mon enfance. Les deux musées consacrées à ces artistes sont intimistes, surtout celui de Kafka, et valent à coup sûr le détour. La scénographie du petit musée Kafka est presque aussi angoissante et crépusculaire que les romans de l'écrivain tchèque. 
Cet extrait de l'une des lettres de Kafka est révélatrice de ce que j'appelle les cristallisations de l'être, notamment pendant l'enfance, lesquelles engendrent les crispations de l'adulte par la suite, mais aussi fortifient ses goûts et détestations pour la vie tout entière. Dans cet extrait d'une lettre à Milena, je retrouve certains heurts de ma propre enfance, avec cette terreur uniquement propre au jeune âge, qui a mis en pli mon âme.





Quant à Mucha, tout le monde connaît ses illustrations et ses publicités au style si caractéristique, ses affiches pour Sarah Bernhardt
et toute son oeuvre parisienne, mais bien moins d'êtres s'intéressent au reste de son oeuvre, notamment la période slave, qui est la plus belle et la plus exaltante qui soit.




[Maude Adams, actrice barrienne s'il en est, dans le rôle de La Pucelle d'Orléans (Die Jungfrau von Orleans de Friedrich Schiller) et peinte par Mucha, en 1909 — une année qui m'est chère. ]

En ce qui me concerne, l'oeuvre de Mucha que je préfère est sa Nuit d'Hiver


Cette femme résignée, pétrifiée dans l'attente de son sort, est dans mon esprit comme une image de notre existence : jetés dans une flaque de lumière, couronnés par la grâce divine, nous attendons pourtant d'être dévorés par les loups, les fils de la nuit. Ils répandent l'obscurité tout autour d'eux à mesure qu'ils s'avancent vers nous et tachent de leur sang caillé tout ce qui nous est cher... Le coeur gelé, nous mourrons bientôt sans souffrir, devenus indifférents aux êtres et aux choses, anesthésiés par la reconnaissance de notre destin, car nous sommes nous aussi les porteurs de la nuit...

[Source : ici ]



Les roses du Pays d'Hiver

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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