jeudi 25 juin 2009
{Robert Demachy, Mignon, 1900}

Parfois, il existe des êtres reliés à leur enfance par une sorte de cordon ombilical imperceptible à la plupart des regards ; une espèce de lien de laine les traverse de part en part, reliant chaque fragment de leur être et se constituant soudain - quand on perd le fil de son déroulement - en un écheveau de veines et d’artères poreuses, qui tremperait d’un côté dans le lait de la mémoire et qui s’égoutterait de l’autre dans l’être adulte, le nourrissant en permanence de ce nectar interdit dans l’univers d’efficience scientifique, de rationalité philosophique, ou de sens banalement commun, pourvu de l’utile, du nécessaire, du vital ou prosaïque. Il y a donc ceux qui boivent le nectar et ceux qui s’enivrent de Léthé. Il y a les dieux et les hommes et ce n’est pas qu’une hiérarchie ou une image mythologique. Entre les deux races ou strates supérieures du monde, il existe des hybrides, ceux qui doivent fabriquer leur nectar avec l’alambic de leur imaginaire, les artistes et, très spécialement, les écrivains. Le Léthé est le contrepoison des hommes ordinaires ; le nectar est le filtre d’amour que l’artiste absorbe pour se convaincre d’aimer ce qui est. Il lui permet d’enchanter le prosaïque et d’en tirer à lui un charme qu’il ne fait peut-être qu’inventer.


{Robert Demachy, Médaillon, 1897}
lundi 22 juin 2009
Renaud Camus est un très grand écrivain français. Je vous enjoins à lire son site - et ses livres. Sans omettre de contempler ses magnifiques photographies ici.
Même si je ne prise pas entièrement son œuvre, pour des raisons tout à fait subjectives dont il n'y a pas lieu de faire état ici, il me semble, cependant, impossible de ne pas reconnaître en lui la trempe de l'érudit, l'exigence extrême, la passion et la plume d'un valeureux chevalier des lettres, comme il n'en existe plus guère à notre époque et comme il risque de ne plus en exister, puisque nous sommes à l'ère de la médiocrité. Je n'ai pas l'optimisme d'un Deleuze qui estime que tout ceci fonctionne par cycles. En tout cas, je serai morte avant que la gloire des esprits neufs ne rayonne de nouveau sur ce monde.
Si j'avais plus de cervelle et plus de courage, si j'avais une once de talent tout simplement, il serait pour moi un modèle. Mais il est taillé, dans son domaine, à la mesure d'un dieu grec et je ne suis qu'un papillon dans le mien.
Son œuvre est impressionnante et l'homme a des courages tout aussi grandioses, d'autant plus méritoires que l'on vit dans un temps et un pays où certaines idées et certains mots sont interdits.
Il publie un deuxième volume

  consacré aux demeures d'écrivain. Il me semble avoir signalé ici même l'existence d'un premier ouvrage, qui m'avait fort enthousiasmée.
Celui-là, reçu ce matin - un beau cadeau* inattendu - comporte quelques pages dévolues à James Matthew Barrie et à sa maison natale, à Kirriemuir. Renaud Camus a fait pour une multitude d'écrivains, en mille fois mieux que je ne pourrais jamais le faire, ce que j'ai essayé de faire (mieux que lui en cette seule occasion, mais j'y consacre une part de ma vie !) pour Barrie et quelques rares autres (une sorte de cartographie-biographie). Je suis une monomaniaque ; son esprit s'engouffre dans des dizaines de lieux vécus par des hommes du passé. Je crois que sa démarche illustre mon propos sur les lieux comme sédiments de l'œuvre.
J'ai l'agréable surprise de ne constater aucune erreur factuelle ou approximation déplacée dans ces pages qui parlent de Barrie et ce fait est tellement rare que je dois le dire. L'auteur parle en connaissance de cause, même si le propos demeure nécessairement extérieur. Sans être flatteuse ou trop dépréciative, la présentation est juste. Trop peut-être, pour l'être vraiment, mais au moins il parle assez bien de Barrie. Et il s'est abreuvé, sans nul doute à une excellente source, l'oeuvre d'Andrew Birkin. L'autre source, très perceptible, est assez exécrable ; mais Renaud Camus est trop intelligent pour s'y être laissé prendre, même s'il me semble avoir retenu quelques éléments (la relation de Barrie avec George Du Maurier, qu'il évoque mal, parce qu'elle est mal évoquée dans sa source).
Ma seule restriction concernant ces quelques pages, très précises et solidement documentées, c'est donc le sentiment que Renaud Camus semble ne pas croire que Barrie soit tout à fait innocent - même s'il le défend, par exemple, contre l'ignoble livre de Piers Dudgeon, le livre le plus malhonnête qu'il m'ait été donné de lire et un modèle du genre, sa seconde source identifiée, un ramassis de saloperies qu'il aurait mieux fait de ne pas lire - et donne le sentiment de rechercher le maléfice possible. Parce que la légende mortifère encadre mieux le portrait de l'auteur ? D'où la citation de D.H. Lawrence qu'il relève : "J. M. Barrie has a fatal touch for those he loves". Probablement, Renaud Camus a-t-il pêché la citation dans le livre excrémentiel de Dudgeon. Il faut la resituer, ce qu'il ne fait pas, et je ne le lui reproche pas. Il ne s'agit que d'une miniature, pas d'un portrait grandeur nature. D.H. Lawrence, qui était un ami de l'ex-femme de Barrie, écrit ceci dans une lettre à cette dernière, après la mort de Michael. Je crois que ceci donne de la perspective et cette remarque à l'emporte-pièce va aussi dans le sens des idées-forces personnelles de Lawrence à l'oeuvre dans son art.
C'est légitime. Mais il a tort. Il est facile de se laisser emporter par ce genre de superstitions. Moi-même, je tremble un peu en songeant à la parole de Barrie : "Malheur à celui qui écrira ma biographie !"
Pourquoi ne pas parler du tout de Nico, l'un des fils Llewelyn Davies ? Celui-là même qui, peut-être, a le mieux compris Barrie ?
Et plus qu'une malédiction engendrée par Barrie, il faudrait peut-être considérer d'abord celle dont il fut victime.
Je ne crois pas que Barrie ait "imparfaitement perçu" l'amour de sa mère, bien au contraire ; selon moi, cet amour n'était pas spécialement le genre d'amour que l'on peut attendre de la part d'une mère "suffisamment bonne".
Et il semble ignorer qu'en plus d'être objectif le livre de mon ami Andrew Birkin est également un chant d'amour pour Barrie. On n'offre pas trente ans de sa vie à quelqu'un que l'on n'aime pas avec passion, inconditionnellement. Je ne vois pas en quoi le livre d'Andrew peut laisser "une impression de malaise" dans le cœur du lecteur...

***

À recommander aussi ce très beau livre.
Renaud Camus a également publié un premier volume des Demeures de l'esprit en France.

Et le site de son "exégète" que j'ai renoncé à lire, il y a des mois de cela, mais qui présente une compilation passionnante d'éléments disparates.

* Merci infiniment, Jim.
dimanche 21 juin 2009
[Je dédie ce "bébé billet" à ma petite A., ma chienne, qui est malade. Je lui promets d'écrire la suite de cette histoire bientôt. Un jour, je vous parlerai d'elle, parce que c'est un personnage tout à fait essentiel dans mon existence et un sacré personnage.]

Je crois bien que l'image qui précède (Fred et Adele Astaire) symbolise parfaitement la manière dont j'entends l'existence. Si la vie ne ressemble pas à cela, alors cela ne vaut pas la peine de vivre. Si la vie ne m'inspirait plus, un jour, cette exaltation permanente et des désespoirs tout aussi violents que leur contrepoints d'extase, alors je tirerais ma révérence pour de bon. Les gens honnêtes m'ont prédit une fin encore plus triste que leurs visages de prophète, parce que je ne thésaurise rien, parce que je me fais flamber au contact de tous les feux de joie. Ils m'en veulent d'être trop heureuse ou trop malheureuse, de n'être point allumée comme un réverbère, à des bonheurs ou des joies communs, à heures fixes, avec une décente intensité. Ils ne savent pas sur quel pied danser avec moi. Ils ne savent pas danser de toute façon. Ils n'ont jamais compris que je suis prête à payer le prix de ma liberté - il y a longtemps que j'ai signé un pacte avec le diable qui est en moi et qui est la meilleure part de moi-même...- et que j'ai toujours su que je n'étais pas faite pour avoir une place définie en ce monde. Cela ressemble trop à une concession dans un cimetière. Mon seul regret, si je mourais demain, ce serait de n'avoir jamais eu une paire de chaussures magiques pour apprendre les claquettes.

À la lecture d'une biographie de Fred Astaire, un de mes héros, j'ai vérifié une fois de plus mon hypothèse selon laquelle chaque chose, dans un univers donné (le mien, en l'occurrence), est liée à une autre et qu'il suffit de tirer sur le bon fil pour remonter jusqu'aux premiers éléments d'une généalogie.

Fred - né Frederick Austerlitz, II- et sa soeur Adele ont débuté ensemble. L'histoire est bien connue. Adele était considérée comme le membre le plus génial de leur duo, mais elle abandonna au début des années 30, à l'âge de 35 ans, sa carrière et se maria. Fred, le perfectionniste, perdit sa meilleure partenaire et n'en retrouva jamais une autre comme elle, même pas Ginger. Je crois qu'Adele ne se sentait plus à la hauteur de l'immense talent de son frère, tyrannique envers lui-même lorsqu'il s'agissait de son art, talent qui ne cessait de croître alors qu'Adele se contentait de sa perfection naturelle, de ce don qu'elle n'était guère encline à sculpter davantage en travaillant.
Fred et Adele ont connu tous les deux James Matthew Barrie à Londres, lorsqu'ils se produisaient sur les scènes de cette ville que j'ai toujours aimée. Et Barrie envisageait de donner le rôle de Peter Pan à Adele. Barrie, comme Céline, a toujours aimé les danseuses - j'ai commencé à simplement l'évoquer ici et - et ce vieux grincheux de Shaw en pinçait aussi pour Adele. Je ne sais pas exactement pourquoi l'affaire ne fut pas conclue. J'enquête... Mais je suis émue et amusée à l'idée que les fils de mes vies imaginaires se tordent et se tressent.

jeudi 18 juin 2009

{Note du 26 décembre 2011 : suite à la destruction de mon compte Picasa, je n'ai pu restaurer les captures d'écran qui illustraient ce billet et celles, bien rares, qui furent retrouvées ne le furent pas dans leur taille originelle...}
***


Le film s'ouvre comme un fruit encore trop frais ou trop vert pour que l'on ose y planter les dents ; il se dévoile d'emblée sans autre forme de délicat procédé, mais trompeur doit-il être.
Première image, brutale : l'enlacement de la gravité brune et de l'enfance blonde ; nous sommes témoins d'une valse immobile, d'un discours muet, ceux de deux visages insérés dans un cadre noir, tapissé d'obscurité, gansé de pleurs soyeux. Simple, lent, triste, tout se tait, comme la vie qui sort de nous à chaque instant ; nous ne savons vraiment ce qui se passe en nous - un processus de démolition, celui-là même dont Fitzgerald nous fait ressentir les vibrations dans The Crack-Up - que lorsque nous oublions toute autre forme de savoir.
Celui qui sait la vie ne sait pas la mort, et réciproquement. On ne se sait jamais passager de ces deux royaumes mouvants à la fois. Il faut devenir soi-même passage, pour les faire coexister, le temps des derniers soupirs, en quelques fractions de temporalité acérées. Il est ensuite trop tard.

Un homme et une femme. Beaux comme une mort, soudain incarnée et adulte, qui se réveille d'un sommeil qui avait l'apparence de l'éternel, qui prend au dépourvu la jeunesse et lui rompt d'un coup de mâchoire franc les ailes. Mais la jeunesse vole encore un instant, sans comprendre qu'elle n'en a plus les moyens. Et sombre. Le coup de dents est le tailleur d'abîme en nous. Un abîme dans lequel on plonge pour devenir à jamais mortel. Ceux qui tentent d'échapper à cette malédiction sont toujours un peu monstrueux et boiteux. Ce sont les artistes, des enfants égoïstes et cruels, qui ne veulent pas renoncer à leurs jeux avec le réel et qui tuent leurs personnages quand ils en sont lassés. Ils veulent être la mort et non ses enfants. Le jeune Bergman me semble particulièrement répondre à ce trait. Le héros de cette histoire, lui, se rendra à l'appel de l'abîme et rompra les amarres de l'idéal (il voulait n'aimer qu'une seule femme dans toute son existence et une femme pure - le contraire adviendra puisqu'il s'éprendra d'une fille déchue). Il y a moins de noblesse que de beauté humaine dans cette déchéance consentie. Je préfère toutefois les causes perdues et ceux qui claudiquent, ceux qui, comme je le dis souvent, sont les porteurs d'une enfance incapable de se désincarner complètement pour se dissoudre dans le sang et l’épaissir, une enfance inapte à s’incarner autrement dans l’homme ou la femme.
La fille sur l'écran, d'une autre race que le garçon, on le pressent, glisse comme au ralenti sous le voile du tragique, malgré la protection offerte par les mains de l'homme - ou à cause d'elle ; son regard à lui, qui semble étreindre le sien, le dissimule peu à peu à notre propre regard, comme s'il voulait l'étouffer.



Cette obscurité protectrice qu'il offre de ses mains et de son corps tout entier possède également quelque chose d'étrangement ambigu. Le mystère poinçonne cette étreinte. Et si la main qui caresse et met à l'abri était faite à l'image de celle qui tue tout aussi bien ?

Ce n'est pas le premier film de Bergman, à strictement parler, mais le premier film auquel il a participé. Bien qu'auteur de plus de trente mises en scène au théâtre, Bergman n'avait encore réalisé aucun film. Il en a écrit l'histoire mais le film fut réalisé par Alf Sjöberg. Il me paraît nécessaire de redire cette paternité, car il serait très injuste de minimiser le travail de ce dernier pour ce film - comme c'est, hélas, souvent le cas. Mais nous entrons, cependant, d'emblée dans ce cinéma de la névrose et de l'angoisse qui qualifie, pour une part, l'œuvre de Bergman.

En regardant ce film, en observant le déplacement des ombres, les plans en plongée, et mille autres détails, il est impossible de ne pas penser à Carl Theodor Dreyer



ou à Fritz Lang,


par exemple - deux cinéastes que j'affectionne. Le film s'inscrit esthétiquement dans le sillage de l'expressionnisme allemand (les ombres étirées, les contrastes, les lignes horizontales, par exemple), mais également par la vision subjective du monde, qui ne tient qu'à l'émotion, c'est ici une évidence. Ici et là, certaines rémanences surprennent le spectateur et le bordent dans un climat à la limite de l'inquiétante étrangeté. Mais cette limite n'est jamais franchie et c'est peut-être ce cran d'arrêt qui donne l'atmosphère très particulière du film, l'empêchant d'appartenir à un genre défini.

Un professeur de latin terrorise ses élèves. J'ai rencontré de tels spécimens - non pas en classe de latin ou de grec, parce que je me débrouillais assez bien en ces matières et que les professeurs étaient ravis d'avoir encore des élèves -, mais en classe de sport et en cours d'éducation manuelle et technique (deux disciplines qui ne m'ont jamais servi dans la vie et que je méprisais). Nous avons tous croisé le chemin d'un tel être, imbu de son pouvoir à proportion de sa médiocrité à l'exercer en dignité.

Le professeur de latin sadique, provoque un malaise identique à celui que l'on a pu ressentir au contact de M. le Maudit : une fascination pour l'âme gothique des personnages, mais surtout pour le Mal qui est tellement lui-même qu'il n'a pas en contrepoint la conscience de ce qui n'est pas lui. La véritable fascination vient peut-être de là. À cette seule restriction peut-être que ce mal provoqué ou secrété n'est pas celui que diffuse le sadique - dont Deleuze parle avec une prodigieuse intelligence, en consacrant tout un essai à l'auteur de la Vénus à la fourrure, qui n'est pas le complément ou l'opposé du divin Marquis si mal compris.
L'homme maléfique brise les esprits par la peur, une peur dont on découvrira qu'elle est sienne et qu'il projette sur les autres pour s'en débarrasser, en vain. Il fait peur parce qu'il a peur ; il veut lire sur la face des autres cette peur anonyme qui vit dans ses entrailles et qu'il ne peut voir, sauf s'il la transmet à un autre. L'autre est le miroir de sa propre peur qui, sans cette projection, demeurerait invisible et indéfinie. Il élit pour proie un jeune homme de ses élèves, Jan-Erik, qui entretient une relation avec une jeune fille (Bertha) un peu perdue, rencontrée un soir, alors qu'elle tombe sur le chemin, ivre. Jeune fille également étranglée de peur face à cet homme, qui la pousse à boire (elle s'adonne à la boisson pour calmer les cris de sa peur, pour nourrir les milles bouches de cette peur qui lui dévore le ventre), avec qui il entretient peut-être même des relations sexuelles, c'est suggéré ; il pénètre chez elle contre sa volonté - mais il n'est pas précisé comment il s'y prend. Il semble que son ombre glisse sous la porte... Il domine la jeune fille et force l'entrée de sa chambre. Mais il ne possède pas de clef, seul Jan-Erik en a une qu'il donnera au monstre après la mort de la jeune fille, afin qu'il prenne place - symboliquement, du moins - au sein de cet endroit, qui est comme une toile d'araignée.
Caligula, puisque tel est le nom de cette créature malfaisante, pourrait faire penser, pendant quelques secondes, au professeur de grec de The Browning Version, mais seulement un instant.

Car Caligula est l'incarnation du Mal absolu, tandis que le professeur dans le film d'Asquith est simplement un être gelé dans sa sensibilité, qui ne demande qu'à laisser se craqueler son indifférence de surface.
Caligula est le parangon du Croquemitaine de l'enfance (seuls les enfants éprouvent la peur qui est ainsi décrite, une peur qui semble n'avoir pas d'objet sur lequel se fixer à jamais, car la mort est le seul objet possible et c'est une idée qui demande de la maturité ; et ce n'est donc pas un hasard si la classe qu'il terrorise est une classe de jeunes gens qui préparent l'équivalent du baccalauréat, qui ne sont pas adultes d'un point de vue légal, et donc de grands enfants), c'est aussi le mal métaphysique incarné dans et par un être dépassé par ce mal dont il est responsable mais dont il ne saisit pas toute la portée, ni le mécanisme. Il est effrayé lui-même, sincèrement, par ce qu'il fait ; il est comme dominé par cette essence maléfique. D'où ses dénégations et l'accent mis sur une maladie jamais nommée. Il est une proie pour ce mal qui le gouverne et qu'il ne peut s'empêcher de répandre, comme s'il suintait de lui, malgré lui.
Autre scène, il reprend son antienne, après la mort de Bertha qu'il a provoquée, du moins par suggestion. Bertha est morte... de peur.





Il se donne comme victime du Mal qu'il incarne.
Au fond, Caligula se comporte exactement comme un enfant, qui blesse et tue sans conscience, mais demeure, néanmoins, vulnérable de toute part.
À cet égard, une scène est frappante.
Un jour dans la chambre de Bertha, (on notera le décor de cette chambre, 
qui n'est pas anodin), Jan-Erik retrouvera Bertha, morte.

Et Caligula, bien mal caché derrière des manteaux - une cachette d'enfant - clame son innocence. Seul un enfant croit que, s'il ferme les yeux, les autres ne le verront pas, même s'il dépasse de sa cachette... Cette peur, véritable maîtresse du film, permet selon moi de retrouver la langue perdue de l'enfance.
Bergman écrivit, pour ses marionnettes, entre autres histoires, une petite nouvelle qui peut être mise en relation avec le film dont il est question ici, A Shorter Tale About One of Jack the Ripper's Earliest Childhood Memories. [Celle-ci a été partiellement traduite en français dans une revue, le numéro 34 de Cinéma 59, en mars 1959]

Ce Jack n'a de commun avec l'Éventreur bien connu que le nom ou presque seulement le nom... puisqu'il est, à sa façon, un tueur. En effet, Jack tue deux fois : à trois ans, il assassine une sorte de lutin dont il s'était épris pensant qu'il s'agissait d'un lutin femelle (il s'était mis nu devant lui, éprouvant du plaisir à cela) et qui était, en réalité, un garçon de quinze centimètres déguisé en fille ; puis, à l'âge adulte, il supprime sa maîtresse (Marie), afin de dédommager, en quelque sorte, le père du lutin qu'il avait tué et qui revenait le tourmenter chaque nuit, réclamant vengeance.
La nouvelle sert de révélateur au film ou permet de confirmer certaines hypothèses que le spectateur ne manquera pas de formuler.
Tourments est un film qui parle de la peur et de l'enfance non cachetée, un état primal de la conscience humaine.
Caligula est un enfant, prisonnier d'un traumatisme que l'on suppose très violent, dans un corps d'adulte. Son sadisme est la quête inversée d'un amour auquel on n'a pas répondu. Les sadiques de ce type - car il en est plusieurs genres et j'emploie le terme de sadisme dans un sens commun, sans me référer expressément aux études de Freud -, veulent recevoir de l'amour mais ils ne le peuvent et leur cruauté est le fruit de cette impuissance initiale à être aimé.
Risto Fried
, un pychanalyste (digression : lire cet article) cité par Frank Gado, dans une étude sur Bergman Cf. Le livre de Frank Gado, The Passion of Ingmar Bergman, publié par Duke University Press, 1986), explique que certains êtres victime de sadisme dans l'enfance peuvent développer une attitude protectrice envers les plus faibles, enfants ou animaux, et laisser s'exprimer ainsi leurs tendances sadiques dans l'art, là où ils peuvent manipuler, maîtriser et diriger les émotions des spectateurs. Les films de Bergman, même les plus lumineux, répondent sans conteste à cette définition. Ceci explique probablement certain malaise, parfois provoqué par des détails ou des scènes qui, au premier abord, semblent inoffensifs.

Il faut citer Bergman. Cf. le superbe livre édité par Taschen - dont je possède plusieurs publications de rêve, dont les Kubrick Archives.



"Je voudrais que Tourments agisse comme un couteau sur un abcès, qu'il purge l'infection (...) Je voudrais que Caligula soit dénoncé, blâmé, écrasé. Vous savez qu'il existe toutes sortes de Caligula, des grands, des petits, relativement inoffensifs, ou totalement monstrueux, œuvrant de façon ouverte ou détournée... Mais il y a quelque chose qui permet toujours de les reconnaître. Car ce genre d'hommes crée la haine, l'équivoque, sème la destruction chez ses semblables. Il est étranger à toute communauté, incapable du moindre contact et de toute compassion authentique. (...) Je voudrais que l'on éprouve de la sympathie pour Caligula car il n'est pas responsable de la situation dans laquelle il se trouve. Il est comme une vipère, une bactérie, comme de la vermine qui ne peut comprendre le mal qu'elle cause. Il est condamné à la solitude, poursuivi par des furies enragées, par sa propre peur et par la nécessité de faire le mal."
"Je veux décrire l'activité universelle du Mal, avec ses procédés les plus ténus et les plus secrets de propagation, comme une chose animée d'une vie indépendante, à la manière, par exemple, d'un germe dans une vaste chaîne de causes et d'effets."

L'ironie des choses veut que le personnage dont s'est inspiré Bergman pour écrire cette histoire soit un professeur qui lui avait inspiré force craintes et tremblements, celui-là même qui avait également tourmenté Alf Sjöberg ! Plus étonnant, Himmler sert aussi de "modèle" au personnage et le film s'inscrit dans le cadre d'une campagne antinazisme à l'époque. Il me paraît intéressant de souligner ce contexte.

Il semble que Bergman souhaitait une fin plus sombre que celle donnée effectivement.
Le professeur fera exclure Jan-Erik, au motif qu'il fréquentait une fille de mauvaise vie, et tous les élèves, lui excepté, recevront leur diplôme. Ils ont revêtu le costume traditionnel de remise des diplômes.


Le sadique professeur savourant cette scène, par la fenêtre.

Tandis que celui qui a été exclu observe, seul, la scène. Il a la tête nue, alors que les autres sont "coiffés", comme ceints d'une couronne mais aussi comme protégés, et doublement, puisqu'ils vont ensuite se réfugier sous un toit de parapluies.

Ils ont un "casque" que Jan-Erik ne possède pas. Sa tête nue est un symbole. Le film devait se terminer ainsi.

Et l'on ressent bien une coupure dans le film qui verse presque notre esprit dans un autre espace - temps.
Mais nous assisterons de loin à l'enterrement de Bertha. Un enterrement de théâtre, dirait-on, sans émotion ni bruit.

Jan-Erik a quitté ses parents, qui ne le comprennent pas et qui sont humiliés par son échec. Seul au monde, il décide d'habiter la chambre de Bertha et, par un étonnant travestissement de situation, de prendre sa place et d'être hanté, à son tour, par Caligula, du moins un instant.

Le chat de Bertha, adopté par le jeune homme, rappelle une anecdote assez éprouvante racontée précédemment à Bertha par Caligula. Je n'insisterai pas sur ce point. Quand Caligula tue un chat, Jan-Erik, lui, en sauve un, marquant par cet acte opposé à la fois leur différence (ils sont des contraires) mais aussi leur complémentarité.



En effet, Jan-Erik et Caligula forment un couple au sein d'un triangle œdipien. Plusieurs combinaisons sont possibles. Bertha pouvant se déplacer de l'un à l'autre. Mais, elle, morte, rompu est le maléfice qui mettait en regard le bourreau et la victime, Caligula et Jan-Erik.
Le film se termine avec le départ de Jan-Erik, avec la victoire de la lumière sur l'obscurité. Si, comme l'explique Deleuze à propos de Leibniz, le damné n'est pas éternellement damné, mais toujours damnable car il se damne à chaque instant, on peut dire que Caligula n'est pas damné mais bien plutôt maudit par quelque force extérieure à sa volonté et à son entendement.

Le film s'achève avec l'image du visage de Jan-Erik, presque magnifiée par la lumière éclatante.


Ce sourire de conquérant ou de vainqueur, ce visage qui porte l'aube pleine d'un monde neuf, dépouillé de tout ce qui précède, vierge de toute scorie de l'expérience, est peut-être la plus belle image du film. L'adulte-insecte est sorti du cocon de l'enfance. Il est achevé par la mort de Bertha. Le meutre ou la mort de Bertha est nécessaire à la délivrance de Jan-Erik, qui entre dans l'âge adulte par cette épreuve ou ce sacrifice.
Mais, on le comprend d'instinct, ce regard qui exprime à la fois la pureté et le soulagement, par cette franchise même, cette presque brutalité, dit l'ambiguïté du film. Le héros tue le passé et tout ce qui lui appartient pour s'élever au sommet de cette autre vie, celle de l'adulte devenu. Mais le prix est celui de la mort de l'idéal et du compromis engagé envers soi et les autres. Le jeune héros, pour être fidèle à Bertha, devrait mourir à son tour.
Ce rite de passage est le même pour tous, mais tous ne peuvent ou ne veulent s'y soumettre. C'est toute la différence entre ceux qui s'adaptent et nous autres...
À mes yeux, c'est tout autant une heureuse fin qu'un triste début, car Jan-Erik renonce tout à fait à cette différence d'avec les autres, à sa particularité (il est d'abord banni de la société en n'obtenant pas son diplôme, mais le proviseur lui donne moyen de "revenir" dans le cercle social et il accepte cette autre chance) qui aurait pu lui permettre de faire de sa vie une œuvre, peut-être.
Pour la première fois, la tête nue (toujours), il s'avance vers l'avenir, les mains et le cœur vides. Et ce dépouillement, la tête nue, est un symbole qu'il convient, je crois, d'interpréter. Ce que je ne ferai pas tout à fait...

mercredi 17 juin 2009
J'ai toujours dit que je croyais aux fées...
Une personne travaillant au sein d'une grande maison d'édition vient de m'appeler et, l'année prochaine, une de mes traductions d'un livre de James Matthew Barrie sera publiée par l'un des meilleurs éditeurs français. Je me demandais comment j'allais fêter l'anniversaire de mon bien-aimé Barrie... et, même si j'avais prévu quelques surprises à lui faire, celle-ci sera, sans conteste, un autre très beau cadeau.
Tout vient à point à qui sait attendre. Je suis une impatiente, mais j'ai la foi chevillée au cœur et à l'esprit. Je crois aux miracles.
Mon émotion est telle que je me demande si je vais pouvoir y survivre...
vendredi 12 juin 2009
L'hébergeur de mon site - je crois que c'est ainsi que parlent les gens modernes - m'informe que mes aimables visiteurs devront se passer un moment de la compagnie de James Matthew Barrie, puisqu'ils rencontrent des difficultés techniques : une surchauffe de leur système, visiblement... et, par conséquent, mon site n'est plus en ligne à l'heure actuelle. Dieu merci, j'ai des copies de sauvegarde au cas où il faudrait télécharger à nouveau tout le site, soit des centaines de pages, soit plusieurs heures / jours de travail pour cette pauvre Holly, qui est déjà en retard, surmenée et qui n'avait nul besoin de ce désagrément supplémentaire. Donc, ne vous étonnez pas si je ne donne pas signe de vie tout de suite... Le site sera remis en ligne dès que le dieu de l'informatique l'aura décidé... Il est également possible que certaines images n'apparaissent plus sur ce JIACO ou sur certains de mes autres sites, puisque une partie de mes fichiers est hébergée au même endroit... Ajout du 14 juin 2009 : Je pense avoir réussi à remettre (quasiment) tout à sa place. Le site avait totalement disparu. J'espère pouvoir faire des mises à jour avant mon départ en Écosse et en Italie. À bientôt !
jeudi 11 juin 2009
Hier, je lui disais à quel point j'étais heureuse à l'idée de mon futur voyage à Londres (afin de découvrir ce film de Barrie mis à disposition du public au BFI, entre autres bonheurs annoncés), puis en Écosse et à Venise ; ce matin, il me demande si je suis toujours heureuse. Tout d'abord, je ne comprends pas sa question, jusqu'à ce que je lise.
Mon très cher ami anglais, Robert, vient de m'envoyer une coupure du Times.

Les Jardins de Kensington, qui abritent le spectacle consacré à Peter Pan, ont été témoins de la première, hier soir. Je suis dans un état de colère rarement atteint - si ce n'est lorsqu'une drôlesse a écrit, avec son pied gauche enflé de pus, une "suite" à Peter Pan, dont j'attends de lui demander raison l'année prochaine, à Kirriemuir, si elle ose montrer sa sale tronche de fouine, son sourire satisfait d'imposteur en liberté -, car j'y lis une critique du ("du" et non "de") Peter Pan donné dans les Jardins de Kensington. L'idée était magnifique : faire revivre Peter Pan dans l'un des endroits symboliques de sa création. Vous pensez bien que j'étais la première à acheter ma place, il y a des mois de cela.
On dit souvent de moi que je suis une pessimiste. Je sais bien, moi, que je suis une fragile fleur bleue déguisée en chardon, pour tromper son monde.
Il faut croire que j'accorde encore bien trop de confiance à l'humanité. Le pire étant toujours certain.
En effet, à la lecture de cet article, puis de certaines autres coupures de presse, j'apprends que les organisateurs de ce spectacle à gros budget ont OSÉ tripatouiller le texte de Barrie - non pas un peu, mais complètement, imaginant même une fin différente... Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?
Pourquoi ne suis-je qu'à moitié surprise et pourquoi est-ce que je ne me donne pas une grande gifle pour n'avoir pas écouté cette voix en moi qui me disait que l'ignominie était toujours certaine dans ces cas-là ?
Mon argent a contribué à engraisser cette bête immonde.
J'aurais dû me douter que gros budget et littérature n'ont rien à faire ensemble. Les gens veulent du clinquant, du "mignon", comme dirait mon Amie Sophie. Du bruit et de la fureur, des émois dociles, de la saccharine, de la douceur et du mimosa dans la culotte ! Vaches ! Ils faut qu'ils s'en prennent plein les mirettes, qu'on leur masturbe violemment et proprement le cerveau, il faut les guider, il faut même les faire bander et jouir avec de grosses machines, parce qu'ils n'en sont pas capables seuls, ces méprisables, qui ne sauront jamais reconnaître un chef-d'oeuvre d'une merde. Et, encore, le mot est injuste, car j'ai le plus grand respect pour les excréments.
Du bel ouvrage que la merde, et complexe avec ça, et puis ça fertilise.
Ces gens ne savent pas chier. Ils n'ont pas d'estomac, ni un cul digne de ce nom. Rien qu'une gueule qui gobe l'air du temps.
Ce sont des pourritures tous ces gens qui raisonnent, d'un côté, en terme de fric à gagner et, de l'autre, en terme de facilité orgasmique.
Pour moi, ce ne sont que des cons, des inutiles, des parasites.
Ils veulent de la littérature facile pour les distraire de leur petite médiocrité, journalière (Oh ! Pas Louis-Ferdinand Céline, c'est noir, si noir et j'ai peur dans le noir ! Oh, pas Proust, c'est trop dur à lire ! Oh, pas Hegel, je ne comprends pas ! Pauvres petits caniches qui ne songent qu'à la reproduction!), de leur vie fade qu'ils sont incapables de vivre autrement qu'à crédit, sans ambition flamboyante, ni passion violente ou chagrin mortel, aspirant juste à un bonheur riquiqui, duplicata du bonheur de leurs voisins. Ils veulent être normaux. Ils ne le sont que trop. Jusqu'à extinction de l'humanité. Putain de gros animal. Platon avait raison.
Ce sont les mêmes spécimens qui bouffent de la connerie en tube cathodique, des oies et des cochons frémissants pour des demi- ou quart-ratés, vite sacrés, vite oubliés – il suffit de tirer la chasse. Ce sont les mêmes qui lisent Gavalda et Musso ou autres débonnaires du style, clients du même tripot. Ils puent, ces charognes. Et, parmi eux, deux ou trois qui vont m'écrire, pour me dire qu'enfin tant de haine, tant de mépris, ça cache (et donc exprime) forcément quelque chose de triste en moi. Quand vous énoncez de traviole les vérités pourtant ordinaires et évidentes, les gens vous accusent du pire : de malheur ! D'être malheureux, simplement parce que vous portez votre haine aussi haut que votre amour, sans comprendre que la haine bien ciblée n'est que le moyen de ne pas l'étendre à tout et à tous ? Une purification. La haine que certains jugent comme une passion triste (pas moi) n'est parfois, dans le meilleur des cas, que la capacité de révolte des gens forts jusqu'à la pliure, qui aiment jusqu'à l'aveuglement, qui respirent aussi viscéralement qu'ils éprouvent. Mais ne leur demandez pas de comprendre cela. Ils sont impuissants.
Il me reste un choix simple : ou gager que les critiques expriment une réalité de la situation, brûler mes billets sur place et passer ma journée dans les Jardins sans me soucier de cette saloperie que l'on fait peut-être encore à un immense écrivain, condamné à la méconnaissance, ou bien assister au spectacle et foutre un gigantesque bordel pendant la représentation, si la trahison est flagrante ? Ai-je besoin de voir pour être sûre ? J'attends de lire les sentiments de ceux qui connaissent réellement l'oeuvre barrienne. Je n'aimerais pas me découvrir a posteriori injuste. Mais je n'ai aucun espoir. Les plus forts sont toujours les faibles, par une ironique très cruelle.
Je vous donnerai des nouvelles, cependant.

À quand Bardamu dans une comédie musicale ?

Je ne devrais pas dire cela : ils sont capables de le faire !

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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