mercredi 20 février 2008
Il ne faut pas m’en vouloir. Je ne suis pas une amie rêvée, je ne suis même pas tout à fait réelle, et puis j’ai horreur de me sentir obligée de répondre aux lettres. Je n’ai pas besoin d’écrire aux gens pour penser à eux. Vous n’avez qu’à lire sur mes lèvres muettes. Je ne dirai pas mieux. Je suis là mais ne brisez pas mon silence ou faites-le avec beaucoup de délicatesse.



Sachez simplement, je n’ai pas envie d’écrire ici en ce moment. Et la boîte aux lettres déborde.


J’ai été malade, assez brutalement, sur une période un peu longue. Je suis affaiblie et je ne tiens pas à forcer ma carcasse. J’ai des points finaux à semer aux quatre vents, comme je le dis souvent, et un voyage à mettre sur pieds. Destination : Angleterre. Bientôt. D'ici là, je ne pense pas avoir le temps de vous écrire ou très peu. Rendez-vous en avril.

J’ai envie de vivre ailleurs et je n’ai pas le temps d’écrire, de répondre ou de donner des nouvelles. Je veux parler de temps vivant, bien sûr. Parce que des réponses mécaniques, je puis en consentir, mais ce serait tricher. Ce serait du temps mort que j’offrirais et ce serait mentir. Alors, je préfère donner une absence véritable, bordée de l’argent de mes songes.


J’aimerais tant que ce petit billet anodin, une fois encore, pour un moment, soit cette lettre que je ne vous écrirai pas. Non pas parce que je ne vous aime plus ou parce que je suis ingrate et que je me désintéresse de vous, simplement parce que je suis ailleurs, dans les pensées et le monde de mon amie Fauna, qui comprend tout, par exemple... ou dans une conversation avec une Jolie Demoiselle, dans un café parisien, à deux pas de ma chère Sorbonne,


quelque part, une angoisse et un sourire en écharpe. (Merci pour ces belles heures passées avec toi.)


Voilà…

Monsieur Monk et moi

Si, un jour, j’avais établi en ma demeure cérébrale un psychanalyste - mais je ne suis pas désespérée au point d’en avoir un et la psychanalyse ne m'a jamais intéressée que du point de vue littéraire et théorique car je crois que nous sommes, pour plagier, un des personnages de John Irving, "tous des incurables" -, je suppose qu’il décèlerait en moi une raison profonde à mon attachement chronique aux romans policiers et, a fortiori, à certaines séries policières (L’Inspecteur Morse et L’Inspecteur Frost, en tête, Columbo, Nestor Burma et L’inspecteur Barnaby plus loin derrière).
Force est de constater que, depuis que je me suis mis en tête l’idée de liquider mon ancien Moi et son cortège de manies déplacées (et datées), Monk est devenu mon meilleur ami. Je pense pouvoir le qualifier d’ami, après avoir passé cinq saisons avec lui, dans l’attente fiévreuse de découvrir ce que la sixième - en cours de diffusion aux Etats-Unis, le dernier épisode sera diffusé vendredi - me réservera de surprises. Chaque jour, à la fin de ma journée de travail, je sais que j’ai mérité cette récompense : passer quarante minutes avec mon quasi alter ego. Je suis persuadée que de s'identifier à un génial névrosé est importun et incertain.
Comme lui, je vis dans un univers qui ne paraît étroit qu’à ceux qui ont l’esprit trop vissé sur leur petite médiocrité quotidienne. Je ne sais pas faire de vélo ni nager, non pas par défi de faire autrement que les autres, mais simplement parce que personne ne m’a jamais appris. Maintenant, je suis trop vieille pour changer mes habitudes et ces manques définissent assez joliment mon identité. J’ai remarqué, bien souvent, que les choses qui m’étaient les plus évidentes étaient précisément celles qui me rendaient étrangère dans le regard des autres.
Pas plus que Monk, interprété par l’excellent Tony Shalhoub, je ne me sens à l’aise avec les gens qui le sont bien trop, toujours en harmonie avec les modes, les us et les coutumes de leur époque. Profondément décalée, avec assez de perspective, cependant, pour jouir de la vision biaisée que j’offre aux autres – recul qui fait défaut à notre héros -, je demeure en marge de la vie normale des terriens et je ne m'en porte pas mal. Je dois confesser une certaine fierté à ne pas dépendre des autres et à me sentir assez libre pour mettre en péril mes plus précieux attachements.
Mon humour, à l'instar du sien, est en général involontaire. Et, pourtant, croyez-moi, il m’a fallu beaucoup d’humour pour venir au monde et pour persévérer dans l’existence. Je ne suis pas rétive au rire, simplement je ne ris pas des mêmes choses que les autres et je ne pleure pas non pour les mêmes raisons.
Monk, c’est un peu moi. A écouter ceux qui me connaissent vraiment intimement - à savoir une seule personne sur terre -, Monk est tout à fait moi. Ou, peut-être, suis-je tout à fait lui. Certes, je n’abuse pas de manière compulsive de lingettes (cela reste encore à prouver ; j'entends tousser mon mari), dès que quelqu’un me sert la main, et je ne possède pas sa stupéfiante intelligence, mais la ressemblance est là. Ressemblance toute morale et psychique, il est vrai, car entre Monk et moi, hormis la complexion névrotiquement obsessionnelle, l’air de famille n’est pas évident à déceler. Et puis à bien considérer la situation, je suis normale.
Normale mais terrible.

De ce fait, il me semble légitime de prétendre à la compréhension de ce personnage martien, dont les prodigieuses facultés intellectuelles constituent, ainsi qu’il aime à le répéter, «un don et une malédiction». Emule de Sherlock Holmes, Monk reconstitue l'univers à partir d'une poussière.

Le plus grand intérêt que je prends à Monk, après quelques réflexions sur le caractère obsessionnel, nécessairement obsessionnel, de tous les détectives, c'est l'idée que la névrose obsessionnelle est, dans une certaine mesure, cette expérience qui ouvre, à nouveau, à la déraison l’espace de la raison. Et ce contre toutes les tentatives de la société et de la philosophie ou de la psychiatrie pour clore en un espace sûr la folie, qui est la germination de la modeste déraison. Il suffit de relire l'extraordinaire livre de Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, pour s'en convaincre.

Monk incarne l'union de la raison et de la déraison, mieux que n'importe quel autre personnage de fiction télévisée. Il est aussi le prototype de l’Aimant inconsolé, qui était le héros de mon D.E.A. de philosophie, il y a de nombreuses années de cela. Je crois toujours que survivre à la mort de l'être aimé est le pire désaveu d'amour qui soit, une trahison et une lâcheté... Monk est vivant mais déjà mort. Il caresse le cadavre de son existence et le couvre de larmes. Ceci peu d'êtres le comprennent et Monk est condamné à une solitude bien cruelle, proportionnelle à la faveur que le destin lui a faite. Tout a un prix.
Monk, par le plus grand des miracles (double miracle : trouver l'amour véritable et trouver l'amour véritable quand on a été mis en hibernation dès l'enfance...), a trouvé quelqu’un sur terre pour l’aimer et l’épouser. Une merveilleuse beauté blonde répondant au prénom de Trudy (interprétée malheureusement par deux actrices différentes). Hélas, celle-ci est morte dans une voiture piégée par une bombe. Depuis ce jour funeste, Adrian Monk recherche le coupable de cet attentat qui l’a privé de son unique chance de bonheur. Or, celui qui résout tous les mystères en un clin d’œil est incapable de découvrir la raison pour laquelle sa femme est morte.


De maigres pistes en maigres pistes, il finira pourtant par découvrir que, contrairement à ce qu’il avait cru au départ, la bombe ne lui était pas destinée, mais bien à son épouse. La culpabilité est un fardeau moins lourd à porter, mais elle demeure en lui.
Si la quête de Monk parvient un jour à son terme, son histoire sera terminée. Il se perdra lui-même dans une caricature de lui-même ou devra prendre le rique de tuer son identité "monkesque". Je ne sais ce qui serait le pire.
Monk a un frère, Ambrose, lui aussi, psychiquement atteint. Tous les deux ont connu une enfance cloîtrée et, à sa manière, violente. Ambrose ne sort pas de sa maison depuis des dizaines d'années. Il rédige des manuels d’utilisation d’objets aussi improbables les uns que les autres, en langues étrangères. Son intelligence est également prodigieuse, comme si l'absence d'affectivité était compensée par un surcroît de matière grise. Leur père les a abandonnés, lorsque Monk avait 8 ans. Depuis ce jour, Ambrose attend dans sa maison le retour du père prodigue... Monk, lui, sait qu'il ne reviendra pas. Pourtant, lors de la cinquième saison, après environ de quarante ans d’absence, Monk reverra son père, qui a fondé ailleurs une autre famille (Monk et Ambrose ont un demi-frère, Jack), qu’il a encore une fois laissé choir. Rencontre surréaliste, non dépourvue de chaleur et de regrets partagés.
Monk est un ancien policier, qui a perdu sa plaque, à cause de ses troubles obsessionnels très gênants. Cependant, il demeure un consultant de la police de San Francisco et travaille avec le Capitaine Leland Stottlemeyer (Ted Levine) – fraîchement divorcé et maladroit père de famille- et le Lieutenant Randy Disher (Jason Gray-Stanford) – un simple d’esprit, très sympathique.

Il espère récupérer son poste. Monk ne fait rien d'autre que d'attendre des choses improbables. Mais l'attente convient à sa complexion figée.
Pendant plusieurs années, Monk a été aidée par Sharona (Bitty Schram), une infirmière reconvertie en assistante du détective. Celle-ci le laissera tomber sans préavis (Monk est éternellement abandonné) – pour rejoindre son ex-mari - et, au cours d’une enquête, il fera la connaissance d’une autre blonde, mère de famille et veuve, Natalie Teeger (Traylor Howard). Elle sera sa nouvelle assistante. Contrairement à Sharona, qui n’avait aucune complaisance pour Monk, Natalie 


se montre maternelle, aimante envers son patron. Monk dira d’elle qu’elle lui rappelle, par certains aspects, son épouse défunte. Le compliment n’est pas mince, car Monk semble hermétique à tout sentiment, faisant preuve d'un égoïsme presque inconscient tellement il lui est naturel.
Les enquêtes de Monk ne brillent pas par leur intelligence scénaristique : tout est hautement improbable – nous sommes loin du réalisme et du travail d’orfèvre des séries policières anglaises-, mais leur loufoquerie, la tendresse qui s’installe au fil des épisodes pour les divers personnages (ne pas oublier de citer le psychiatre de Monk et le rival de ce dernier, l'exaspérant Harold Krenshaw, qui dispute à Monk les bonnes grâces du thérapeute), la quête de Monk (qui n’avance guère), les efforts que fait ce dernier pour se libérer de ses démons intérieurs, la mélancolie du personnage, l’atmosphère un brin surréaliste font de cette série une œuvre qui mérite notre attention – ou, pour le moins, notre affection. Sans omettre de citer, à partir de la saison 2, le générique écrit et interprété par l'excellent Randy Newman.
It's a jungle out there...

En vérité, Monk, c’est moi, mais avec une quinzaine d’années de moins. J'ai, en effet, très récemment pris conscience d'avoir quitté le monde des "monstres" et je suis tellement normale que je me reconnais à peine.

Je veux croire que l’on finit par guérir de soi et que ce n’est pas si terrible que cela d’oser être, un jour, un peu plus et un peu mieux qu’on ne le croyait permis. Contre ceux qui, jadis, avaient décidé pour nous
ou tout simplement par égard pour nous-mêmes, ce qui est encore mieux. C'est la raison pour laquelle, Monk est condamné à ne jamais progresser, et pas seulement parce qu'il n'est qu'un personnage typique ou exemplaire de fiction, un caractère, mais parce qu'il possède la perfection ou à la perfection son défaut d'être ou son supplément d'âme. A cause de ceci, je l'envie.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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