mercredi 4 avril 2007
(Je dédie ce petit billet à Marie et à Siréneau.)

Autant le dire tout net, je joue encore avec l'idée de couper les roses de décembre, ou d'espacer les floraisons, parce qu'il m'est parfois difficile de concilier mon écriture extérieure (celle que je vous destine inconsciemment, n'écrivant au fond que pour moi et quatre ou cinq personnes essentielles, dont Jean-Christophe et ma Fauna , qui possède très certainement la plus belle plume du net - ne te fâche pas, ce n'est que la vérité !) et ma prose intérieure, celle qui ne s'abandonne d'encre que sur mes cahiers de fiction, hors de la vue des autres. Je reconnais être, ici, dans une facilité qui m'est désagréable. Je veux prendre des risques et je ne le puis ici, devant témoins. Je ne sais que radoter entre les pétales. En décembre dernier, j'avais déjà cette idée, je ne peux promettre de continuer si cela compromet mon regard sur la page à rayures. Par avance, lecteurs anonymes, ne m'en veuillez pas si, un jour, je succombais. Après bientôt 800 billets et un an et sept mois de présence quasi-quotidienne, je trouve que ce serait très honorable. Pour les autres, les véritables amis, je serai toujours là. Et puis du sang neuf prendra la relève. Il me reste 4 billets à écrire et mon voyage en Ecosse à partager. Ensuite, je verrai bien. Je suis si versatile.

Ce film tombe bien dans ma reconquête de ma culture allemande, que j'avais laissée en gâtine depuis quelques années, ne connaissant plus d'elle que les grands textes philosophiques. J'avais oublié le plaisir de lire et d'écouter cette langue un peu râpeuse au toucher- telle la langue d'un chat qui vous agace consciencieusement la peau et vous plaît beaucoup dans ce désagrément -, mais si favorable, cependant, comme toutes les choses un peu difficile, à l'extase poétique.
Personne ne sait très bien dire comment il faut agir pour créer quelque chose de digne. Pourtant, d’instinct, si l’on n’est pas tout à fait handicapé par une cervelle hypotrophiée, on sait reconnaître la bonté, la beauté et la distinction, là elles existent. Ce n’est pas tant une question de tenue que de simplicité dans l’énonciation (cela n'empêche pas la complexité du propos ou sa profondeur), d’aisance ou de facilité, d'évidence, d'intuition intellectuelle (puisqu’il paraît, selon Kant, que cela n’existe pas). Cette reconnaissance ne demande aucun effort de la part de celui qui regarde ; elle entre en lui d'un grand coup et se répand. La douleur vient après, tellement longtemps après que l’on ne sait plus qui a porté ce coup. Je crois que ce film-ci répond à cette interrogation qui est mienne : qu'est-ce qu'une oeuvre honnête ?
Cela ressemble peut-être aussi à "La sonate de l'homme bon". Un ami intime l'offre à l'un des héros de ce film, avant de se suicider, brisé par le pouvoir totalitaire, qui tue presque sans se salir les mains, par simple empêchement d’exister. Qu’est-ce que la bonté ? Vous le savez, vous ? Moi, je crois que c’est ce qui reste en dernier, quand on est dépouillés de tout ce qui nous masque à nous-mêmes. La bonté ne s’entrevoit que dans l’instant, à la fin du monde, d’un monde. C’est aussi le sujet de ce film beau et sobre comme une pluie d’automne.
Deux hommes, une femme et l’Allemagne de l’Est. Voici l’argument.

L’un est un squelette, une carcasse vide, qui se déplace sans bruits inopportuns, toujours habillé d’une grisaille


qui n’est haranguée, silencieusement, que par ses yeux vifs, qui scrutent avec application le visage du mensonge. Le regard est fixe, bleu marine, presque noir. Il est vieux avant d’avoir l’âge. Son monde est hermétique. Il accomplit sa besogne de fonctionnaire de la terreur sans états d'âme ou réflexion ; il est dévoué à une efficience toute kafkaïenne. Dans la froideur et la précision du geste, il s’enfonce dans votre esprit. Le soupçon est sous-cutané. La cruauté n’est que rigidité du visage qui ne s’affaisse jamais, pas même pour pleurer. La larme qui coule sur son visage, un court instant, semble être suintée par les pores de sa peau plutôt qu'enfuie du contour de l'oeil. Cette scène, en particulier, mérite d'être retenue. L'homme, qui enferme les autres, l'automate, l'arme de précision du pouvoir, ne peut sortir de lui-même. Juste punition, pense-t-on d'abord. Le rire lui est interdit, puisqu'il ne peut déborder de l'attitude robotisée qui a été programmée en lui. Son appartement est froid, rangé, propre. Tout est très logique, jusqu'à l'absurde, jusqu'à l'angoisse, la nôtre, car lui ne déraillerait pas.

Il épie les faits et les gestes d'un couple toute la journée. La nuit venue, il se paie occasionnellement une grosse pute et prend un instant le service rendu pour de la tendresse. C'est à ce moment précis que l'on entre avec lui dans le chemin de la compassion. C'est à ce moment également que, peut-être, il commence à regarder ses « proies » différemment. Il va perdre ce qu'il va gagner et réciproquement. Il y a une comme une passation de pouvoirs inconsciente entre celui qui écoute et regarde (et vit par procuration tout ce qui lui fait défaut) et celui qui ignore l’être. Tout le film va jouer sur ce manque et cette recherche d'équilibre que l'on appelle peut-être le suspense et qui doit s'achever dans une chute, plus ou moins brutale.

L’autre homme, celui qui est épié sans le savoir, qui ne l'est que parce qu'il est « trop honnête pour l'être réellement » d’après les dirigeants, mais qui l'est surtout parce qu'il est l'amant d'une femme convoitée par un ministre, est un auteur à la mode, qui ne fait ni l’effort ni le commerce de la lucidité.



Il oeuvre de facilité, dans le privé comme dans le professionnel ; il est doué pour le bonheur, sans lâcheté ni courage ou soucis particuliers ; il partage la vie d'une jolie femme, une actrice ; ils sont heureux, lui l’est. La femme, portrait idéal de l’actrice, est le point de contact entre les deux hommes, à cause de ses fêlures (elle ne croit pas en son talent, véritable pourtant, et se drogue pour tenir sur scène) qui vont les contaminer.
La faiblesse, qui est sa qualité dominante, est d’abord impossible, à froid, sans révélateur, à l'agent de la Stasi, car elle n'est pas inscrite dans son cahier des charges; elle est aussi impossible à l'auteur mais, dans le cas précis, parce qu'il ne s'est jamais mis dans la situation d'être pris de cours ou en danger véritable. Tous les deux ignorent ce qu'est la gélivure, bien qu'ils vivent aux antipodes l’un de l’autre.
C'est par la femme que les deux hommes vont évoluer l'un vers l'autre, sans le savoir. Lorsqu’elle dit à l’agent de la Stasi qu’il est « un homme bon », elle le libère définitivement de son armure d’insensibilité. Il est prêt à perdre.
L'un des deux hommes va gagner en force et l'autre en faiblesse, dans un équilibre parfait, qui apparaît à la fin du film, dans l'acte de reconnaissance (un livre est dédié, qui reprend le titre d'une sonate qui avait fait couler la larme sur le visage de "l'ange gardien" des écoutes téléphoniques) exercée par l’auteur envers l’autre, qui lui a sauvé la mise (vie). Mais il faut une victime expiatoire à ce double acte de rédemption. On devine que la femme doit mourir, comme les doigts tachés de sang qui marquent le premier texte dissident et révolté de l'auteur le préfigurent.
On pourrait apprécier ce film de ce seul point de vue divergent, faisant fi de ce qui pourtant donne son sujet au film : le travail de la Stasi au sein de l'Allemagne de l'Est.
J’ai choisi de comprendre le film avec ce prisme.

Peu de films allemands obtiennent en France une reconnaissance. L'un des derniers était le très beau Goodbye Lenin de Wolfgang Becker, dans un registre nettement plus léger, mais tout aussi réussi que ce thriller (car cela en est un !).

J'avais quinze ans lorsque le mur est tombé. J'étais déjà indifférente et je n'en ai que peu de souvenirs. Ce film m'emmène là où je ne suis jamais allée, car on n'a pas besoin de courage véritable à mon âge, à mon époque, en France. Nous sommes des privilégiés. Pour combien de temps encore ?


Florian Henckel von Donnersmarck est un nom que je grave dans ma mémoire ; j'aimerais savoir ce que seront ses prochains films ; j'ai le plus grand mal à savoir ce qui lui appartient en propre dans ce film, car je crois que les acteurs, dont la splendide Martina Gedeck, l'ont guidé plus qu'il ne les a dirigés. Et je ne manquerai pas de suivre la trace d'Ulrich Mühe, dont le destin m'importe infiniment plus que celui de l'acteur Sebastian Koch, malgré le charme brûlant et sensuel de ce dernier. Ulrich Mühe ne possède pas ce regard, qui m'a transpercée, sans raison, et ce n'est pas qu'une question de rôle. Je voudrais savoir ce qu'il a vécu pour le posséder aussi entier et impossible à briser.





Bande-annonce : ici.
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Catégorie :

  • "Les questions ne sont jamais indiscrètes, mais parfois les réponses le sont".

    Qui pourrait contredire, sur ce point comme sur bien d'autres, cet esprit remarquable qu'était Oscar Wilde ? Vanessa est si jolie - je l'imagine ainsi, car son journal est bien délicat et il ne peut en être autrement- que j'accède à sa demande concernant un questionnaire (un de plus qui traîne sur le net pas très net), mais je vous préviens que c'est la dernière fois ! Comprenez bien que je suis atrabilaire et que j'aime ma tranquillité. J'ai horreur des sujets imposés. Je ne sais pas danser sur le même rythme que les autres et, quand j'essaie avec de la bonne volonté, je me tords les chevilles. Pardonnez-moi de ne pouvoir mieux m'acquitter de la tâche.

    De plus, j'ai déjà plus ou moins répondu à ces questions et j'ai dressé une autre liste ici. Ce préambule étant achevé, je crois que les livres aimés ou haïs en disent plus long sur nous que nous ne le pensons. Il est également vrai que cette aveu en forme de liste n'est pas tout à fait authentique dans la mesure où je pourrais fournir d'autres réponses tout aussi légitimes.
    • Les quatre livres de mon enfance :
    Mon enfance fut indigente et je n'ai de cesse de la raccommoder.
    Lire était un acte de provocation qui ne pouvait s'accomplir sans danger et toujours en cachette, de jour comme de nuit. Je suis née chez des illettrés pour qui les mots devaient cogner sur la gueule plutôt que vous éclabousser joyeusement la pupille. D'où ma répugnance à verbaliser de gorge. Mais j'eus quelques marraines de papier et ce privilège changea la destinée de Miss Holly tête de bois, coeur de sucre et âme en verre pilé. Depuis, le carrosse ne s'est jamais changé en citrouille. Ouf !





    Je me souviens cependant parfaitement des livres d'Enid Blyton




    et, sur ce point, je ne puis guère être originale, puisque je partage ce penchant un peu coupable (Enid Blyton n'était pas une styliste inoubliable) avec les gens de ma génération. Toutefois, je crois que je puis avouer que ses livres m'ont permis de tenir dans mon cachot et que, bien des années après, j'ai racheté ces anciennes éditions en occasion (je désirais les couvertures d'époque), afin d'entretenir ma mémoire et ma colère. J'aimais beaucoup les îles qu'elle faisait surgir avec beaucoup de facilité et je m'en inventais aussi quelques-unes avant même de connaître Sea Cook. Claude, le personnage du Club des Cinq, était une jeune personne que j'aurais aimé être. Les enfants étaient plus fortiches que les adultes dans ces divers livres et c'est ce qui me plaisait.


    Le Petit Chose d'Alphonse Daudet, parce que c'est moi, dans les moindres détails. J'en ai parlé ici en long et en large, mais pas tant que ça. Je ne dirai rien de plus à son sujet, car ce serait en dire trop à coup sûr. Je me souviens simplement de mon choc en découvrant, pour la première fois, que mes pensées et mes sentiments n'étaient pas originaux et pouvaient être réverbérés par un étranger, qui, soudain, m'offrait une enclave de normalité au sein de ce monde étrange où j'avais germé trop vite.

    La case de l'Oncle Tom de Harriet Beecher Stowe (en version non abrégée, bien sûr). J'aimais les sacrifices d'enfants, comme celui de l'ange blond, Evangeline. J'ai toujours été un peu sadique. Pourquoi aurais-je dû être la seule à souffrir ?

    "Adieu, enfant bien-aimée ! les portes brillantes, les portes éternelles
    sont closes sur toi. Nous ne reverrons plus ton doux visage ! Malheur à
    ceux qui l’ont vue entrer aux cieux lorsqu’ils se réveilleront, pour ne plus
    trouver que le jour terne et gris de la terre, et toi, sa lumière, à jamais
    éclipsée !"

    Les Quatre filles du Docteur March de Louisa May Alcott (avant de découvrir, bien plus tard, à mon soulagement, qu'il y avait quatre romans et non pas seulement cette moitié que j'avais lue), La petite maison dans la prairie de Laura Ingalls Wilder ou la série Anne et la maison aux pignons verts de Lucy Maud Montgomery conservent toute ma tendresse aujourd'hui encore.

    • Les quatre écrivains que je lirai et relirai encore :
    Louis-Ferdinand Céline ;
    James Matthew Barrie ;
    Mervyn Peake ;
    Marcel Proust, car lui et moi nous n'en avons pas terminé. Inutile de justifier la présence des trois autres tant elle est évidente pour ceux qui me connaissent un peu.

    • Les quatre auteurs que je ne (re)lirai jamais :

    Virginia C. Andrews. Adolescente, j'avais été captivée par sa saga des Fleurs captives. En effet, ces ouvrages publiés par les éditions J'ai Lu sont terriblement mal écrits et destinés à des écervelées. Beaucoup d'ouvrages ont été publiés après la mort de son auteur, car son nom est devenu une sorte de franchise ! Mais l'histoire était et demeure fascinante à mes yeux : une mère qui enferme ses quatre enfants dans un grenier pendant des années, afin de palper un gros magot et qui, peu à peu, les empoisonne à l'arsenic. Il est aussi question d'inceste et de relations plus ou moins perverses.
    95 pour 100 des "auteurs" vivants. Les mauvais choix de lecture, assez rares, sont les fautes que je me pardonne le moins.
    • Les quatre livres que j’emmènerais sur une île déserte :
    Non pas parce que ce sont mes livres préférés, mais parce qu'ils me paraissent capables d'être lus et relus, avec des plaisirs divers, je mettrais dans mon baluchon :
    L'homme sans qualités de Musil (oeuvre majeure, stimulante, déroutante, que l'on peut ouvrir à n'importe quelle page) ;
    Tom Jones de Henry Fielding (j'ai de la sympathie pour ce bâtard et Fielding possède un sacré esprit) ;
    A la recherche du temps perdu de Marcel Proust (encore lui !) ;
    La phénoménologie de l'esprit de Hegel (parce que j'aime me torturer ou, plus exactement, parce que c'est une oeuvre qui demeure mystérieuse pour moi malgré mes lectures).

    • Les quatre premiers livres de ma liste à lire :
    J'ai des centaines de livres en attente et je n'exagère, hélas, pas. Je me shoote aux livres (et à autre chose). Alors, je pioche parmi les derniers achetés (depuis mon retour de Londres ; oui, je suis consciente que je ne suis pas raisonnable) :











    • Les quatre derniers mots d’un de mes livres préférés :

      Je préfère les débuts, je suis désolée.
      Alors, je choisirai ceci :

      "Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C'était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l'écoute."

      ou ceci :

      "Whether I shall turn out to be the hero of my own life, or whether that station will be held by anybody else, these pages must show. To begin my life with the beginning of my life, I record that I was born (as I have been informed and believe) on a Friday, at twelve o'clock at night. It was remarked that the clock began to strike, and I began to cry, simultaneously."
    Merci à Vanessa de m'avoir fait subir cette petite torture. Je vous recommande chaudement son journal.
    Je romps la chaîne ici et ne passe le flambeau à personne.

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    Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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