mardi 16 janvier 2007
Le plus important n'est pas cette nouvelle, mais je suis heureuse d'annoncer que je viens de reprendre possession de mon ordinateur, ce petit animal capricieux, qui n'a rien perdu de sa mémoire et, par conséquent, de mes souvenirs. Je vais pouvoir travailler avec plus de force et de bonheur. Hier, je parlais de Walter de la Mare et, belle coïncidence, je le retrouve aujourd'hui dans le nouvel album de Carla Bruni. J'avais beaucoup aimé son précédent opus, je suis un peu moins enthousiasmée par celui-ci, ayant probablement trop écouté l'ancien jusqu'à l'user, car il faut reconnaître que la demoiselle n'a pas un organe très puissant et même si cette voix cassée vous trouble et même si ses murmures sont aguichants et envoûtants, les magnifiques textes qu'elle a choisis (Yeats, Emily Dickinson - Lamousmé ne t'évanouis pas : il y a aussi un texte de Christina Georgina Rossetti -, Dorothy Parker...) ne sont pas tellement mis en valeur par une tonalité assez plate. Peut-être suis-je tellement habituée à entendre dans ma tête les textes de ces auteurs que je suis dérangée qu'une autre voix se les approprie et les lie à une musique, qui n'est pas nécessairement celle que j'entendais jusque là. Il est plus que probable qu'après plusieurs écoutes, je serai probablement conquise et plus encore. Déjà, pendant que je rédige ces lignes et que le disque tourne, je me surprends à ressentir une exaltation qui me dépasse. Je perçois les limites de l'interprétation et, malgré tout, je suis attirée... Je suis très heureuse que ce disque mette en valeur des êtres que j'aime et qui ne sont pas toujours bien connus par le très grand public, surtout Emily Dickinson, même si les éditions José Corti ont oeuvré pour elle. Petit extrait du poème de Walter de la Mare :
Carla J'aime tout particulièrement l'avant-dernière strophe et le sentiment d'absence que sait si bien décrire Walter de la Mare. There is wind where the rose was, Cold rain where sweet grass was, And clouds like sheep Stream o'er the steep Grey skies where the lark was. Nought warm where your hand was, Nought gold where your hair was, But phantom, forlorn, Beneath the thorn, Your ghost where your face was. Cold wind where your voice was, Tears, tears where my heart was, And ever with me, Child, ever with me, Silence where hope was.
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  • « Chercher le bonheur dans son travail, c'est comme creuser une galerie dans la roche dure, à la recherche de l'or. On a besoin de toute son énergie, de toute la force et de l'ardeur de sa nature pour y parvenir. »(Elizabeth Goudge, L'arche dans la tempête)

    *****


    Il y a quelques jours, alors que je peinais à ma table de travail, sans mon ordinateur personnel (suite de cet épisode-ci : c'est la carte mère qui a grillé ; ce matin, je devrais être délivrée de mon tourment et retrouver mon précieux caisson de survie), et à la faveur de la lecture inspirée de l'excellent site de Greg, qui a su si bien créer une atmosphère étrange et poétique, en mêlant peintures, images et littérature, j'ai relu d'une traite Les contes du Whisky de Jean Ray.

    Vieux souvenir d'une lecture, alors que je me trouvais autrefois sur les îles anglo-normandes, lieu idéal d'une villégiature pour amoureux d'Elizabeth Goudge. Je ne connaissais pas encore cette dernière ni Barrie. Je n'étais donc pas encore née.

    Comment ? Je n'ai encore jamais parlé d'elle ici ? Et pourtant, si vous saviez comme elle m'importe ! Je repense à elle car j'ai besoin d'écrire, pour cause d'éruption romanesque, sur ces lieux où le vent et la mer appellent déjà les âmes perdues mais aussi creusent le sentier des fées... Mais... Peut-être qu'elle reviendra ici vous parler. Ne perdons pas le sujet de ce mince billet en se laissant emporter quelques années en arrière.
    La littérature et le thé sont mon whisky, moi qui autrement ai la sobriété d'un nouveau-né, et qui pour alcool fort n'ai que la sève de certains auteurs. Jean Raymond Marie de Kremer est très connu, sous ses divers pseudonymes. Jean Ray est celui que j'ai envie de retenir.

    Bien sûr, les gens associent d'abord son nom à Harry Dickson,


    celui que l'on a nommé "le Sherlock Holmes américain". Au départ, il ne s'agissait pour Ray que de traduire, mais très vite il s'est mis à réécrire les histoires, puis à en inventer de nouvelles, pour le plus grand bien du personnage. Mais je crois que le meilleur de lui est ailleurs.

    Malpertuis, par exemple, est une œuvre baroque en diable, construite sur le pan le plus fragile de notre insconcient, comme l'était autrefois la maison Usher.
    « Elle est là, avec ses énormes loges en balcons, ses perrons flanqués de massives rampes de pierre, ses tourelles crucifères, ses fenêtres géminées à croisillons, ses sculptures menaçantes de guivre et de tarasques, ses portes cloutées. Elle sue la morgue des grands qui l'habitent et la terreur de ceux qui la frôlent. La façade est un masque grave où l'on cherche en vain quelque sérénité. C'est un visage tordu de fièvre, d'angoisse et de colère, qui ne parvient pas à cacher ce qu'il y a d'abominable derrière lui. »

    Ne frissonnez-vous pas un peu ? Je ne suis pas étonnée. Quoi ? Non, ce n'est pas le froid, mais la prose de Jean Ray. Vous êtes en grand danger. Vous venez simplement de comprendre. Soyez assurés que je le regrette.

    Il faut aussi voir le film de Harry Kümel, avec Orson Welles, dans le rôle de l'oncle Cassave.


    Même si Jean Ray a un style incarné par des images puissantes, parfois terrifiantes, ce film-ci est une réussite dans sa trahison, ne serait-ce que par la présence de celui que je nomme, très respectueusement, L'Ogre. Je suis persuadée cependant que Roger Corman en aurait fait quelque chose de plus inquiétant et de plus esthétiquement insupportable, pris dans le sens positif de ce dernier terme.



    Un livre, (Les frontières du fantastique, Approches de l'impensable en littérature », de Roger Bozzetto et d'Arnaud Huftier ) essaie de donner une définition de ce genre presque impossible à circonscrire et peut-être même artificiel que l'on nomme "le fantastique" et auquel Jean Ray est plus ou moins affilié par les manuels savants :

    « (...) si les philosophes dits des Lumières avaient pour ambition de mettre au clair mes choses cachées, ils oubliaient qu’allumer une bougie c’est aussi créer une ombre : cette ombre, le fantastique l’explore »


    Cette belle définition convient par certains égards à l'écriture violemment et magnifiquement imagée de Jean Ray, qui revêt tout à tour manteau d'orage et robe couleur de lune (vous voyez à qui je fais allusion !), est à sa façon un surréaliste, au sens où l'entendait Breton dans son premier Manifeste :




    "L'image est une création pure de l'esprit.
    Elle ne peut naître d'une comparaison [comme le ferait l'entendement qui compare et pèse des réalités concrètes ou absraites] mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées.
    Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique..." (p. 31)


    L'image est une peinture mentale dont la justesse ou vérité n'est pas déterminée d'après un critère universel, tel celui appliqué par les sciences, par exemple, dans ce qu'elles ont souvent de tristement utilitaire et de volonté féroce à maîtriser le réel, mais par le pouvoir d'évocation, d'ouverture et d'abandon de notre esprit à ces images. Au fond, Breton fait bien de convoquer Freud, car il semble appliquer les découvertes de ce dernier quant au rêve et nous provoquer à imaginer. Il n'y aucune différence de nature entre le rêve, tel que Sigmund l'analyse, et l'image dessinée par l'imagination. La différence est simplement donnée par le degré de conscience que nous prêtons à ces images.
    Jean Ray, par sa force d'écrivain, parvient à nous libérer de ce fallacieux réel dans lequel nous nous inscrivons au quotidien, par l'exercice vital de nos facultés dans un travail, une famille, une vie d'homme ordinaire. Il nous invite au vertige et à la perte des repères et la naissance ou à la résurrection d'une autre réalité, celle de l'imaginaire qui n'est pas irréelle (Cf. ce billet-ci où il est question de Clément Rosset, puis celui-ci, où il est question, en creux, de l'imaginaire de l'enfance.)
    Alors, Jean Ray est peut-être un écrivain du fantastique, mais je lui préfère un autre terme, plus vague, plus lâche, plus libre, le merveilleux. Je redonne la parole à Breton :
    "(...) le merveilleux est toujours beau, n'importe quel merveilleux est beau, il n'y a même que le merveilleux qui soit beau." (pp. 24-25)
    Tant que l'on considère que le beau est seulement le produit ou l'effet de l'art, on ne peut que souscrire à cette déclaration d'amour d'où est exclue toute raison. Il faut toutefois comprendre, dans ce cas, que l'art n'est pas seulement création d'une oeuvre, mais aussi le regard du sujet (comme ce regard, peut-être, évoqué précédemment lorsque je parlais d'une nouvelle de Walter de la Mare) qui s'aiguise et se perd au-delà des simples apparences paragées par le sens commun. Voici une autre déclaration de Breton à laquelle aurait applaudi Sir J. M. Barrie, mon tendre Jamie :


    " De bonne heure ceux-ci [les enfants] sont sevrés de merveilleux, et, plus tard, ne gardent pas une assez grande virginité d'esprit pour prendre un plaisir extrême à Peau-d'âne.



    Si charmants soient-ils, l'homme croirait déchoir à se nourrir de contes de fées, et j'accorde que ceux-ci ne sont pas tous de son âge. Le tissu des invraisemblances adorables demande à être un peu plus fin, à mesure qu'on avance, et que l'on en est encore à attendre ces espèces d'araignées... Mais les facultés ne changent radicalement pas. La peur, l'attrait de l'insolite, les chances, le goût du luxe sont ressorts auxquels on ne fera jamais appel en vain. Il y a des contes à écrire pour les grandes personnes, des contes encore presque bleus." (p. 26)
    Que serait le monde si les adultes conservait ce pouvoir ? Qui sait peut-être que tout serait pire ? Peut-être qu'il ne faut qu'une goutte de merveilleux sinon la solution deviendrait instable. On ne saura jamais.
    Hé bien, je crois que Jean Ray en a écrit quelques-uns de ces contes-là, des très beaux, des un peu gothiques, des un peu étranges, des souvent surprenants et des toujours nécessaires, afin que le lecteur ne s'endorme pas dans le réel et perde ce sens ultime du beau, le secret de l'enfance.
    "Cette imagination qui n'admettait pas de bornes, on ne lui permet plus de s'exercer que selon les lois d'une utilité arbitraire ; elle est incapable d'assumer longtemps ce rôle inférieur et, aux environs de la vingtième année, préfère, en général, abandonner l'homme à son destin sans lumière." (p. 14)

    ***********
    "On m'a appris que Dieu, dans sa bonté infinie, a donné à notre âme d'ombre un frère de lumière qu'on nomme notre ange gardien."


    "Il y avait un soleil sanglant, sinistre, posé sur la ligne d'encre de la mer ; un immense goéland volait longuement sur la bavure rouge de l'horizon, des butors ont crié... et, ma foi, je ne sais pas trop pourquoi j'ai senti qu'autour de moi il y avait quelque chose pas trop en ordre... Et j'ai bu..."


    ***********

    Des vapeurs du whisky, dans une atmosphère gothique et marine, s’élèvent un cousin fantôme de Scrooge, la petite prostituée de Whitechapel, ou un fils ingrat, une main secourable dans la nuit ou encore une froide et implacable vengeance aux relents wildiens ou hawthorniens. Jean Ray est le plus londonien des belges. Ce n’est pas en vain qu’il se réclame du plus grand, de notre père littéraire à tous, Charles John Hufman Dickens. Jean Ray est sans conteste l’un de ses héritiers, de même qu’il y a en lui des traits qui font songer à Maupassant (et, contrairement à l’évidence, pas seulement le Maupassant des histoires fantastiques), mais aussi à Lovecraft. Parmi les contemporains, un grand écrivain comme Ray Bradbury me semble assez proche, non pas tant de son univers que de sa manière de raconter, de piquer au vif le lecteur sans l'ébouillanter.

    Jean Ray n’est pas seulement un conteur exceptionnel à l’écriture tiède (comme un Stephen King par exemple, que j'aime). C’est aussi un peintre, à mi-chemin entre le flamand Jan Van Eyck, le néerlandais Bosch et l’allemand Hans Holbein. Certains tableaux m’évoquent son œuvre, tels The Ambassadors.

    L’anamorphose du crâne au premier plan est une métaphore possible de l’œuvre de Jean Ray.

    Il y a de la folie dans les histoires de Jean Ray, mais lui-même apparaît résolument sain, à la différence d’un Maupassant. Horla. C'est cette distance entre ce qu'il écrit et l'esprit qui maintient à distance le fantastique qui crée cette atmosphère langoureuse et presque fétide.

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