lundi 30 avril 2007
Strath View. Je ne sais pas si ces mots signifient quelque chose pour beaucoup de gens en France. Mais, pour moi, c'est en soi une invitation. Recevoir un carton aux bords dorés et calligraphié, expédié par la Reine d'Angleterre elle-même, me ferait moins d'effet !

Cette invite m'est offerte, spontanément, par la propriétaire des lieux, que j'appelle de France pour convenir d'un rendez-vous. Il faut préciser que mon ami Robert Greenham a orchestré tout ceci et qu'il m'a fait un inestimable cadeau d'anniversaire en jouant ce rôle d'entremetteur. J'y crois à peine lorsque mon mari frappe avec le lourd marteau de la porte. Mais ma bienfaitrice arrive dans notre dos et me souhaite d'emblée un "Happy Birthday".

Sheila (dont je respecte la tranquillité en ne la nommant pas davantage) est une personne délicieuse, cultivée, passionnée, d'une générosité rare, et une barrienne d'excellence, puisqu'elle fut le conservateur de la maison natale de Barrie (au 9 Brechin Road, où je vous conduirai bientôt en vidéo). Elle habite depuis fort longtemps la maison de Barrie, sa seconde maison à Kirriemuir. Il y emménagea en 1868. Plus tard, ses parents déménagèrent à Forfar, mais la maison demeura dans la famille, puisque le frère de Margaret Ogilvy (la mère de Jamie), un ministre (pasteur), l'acheta et laissa ensuite le premier étage aux Barrie. Sheila me précise que cette maison fut plutôt une maison heureuse pour Barrie.

Vous ne saurez jamais mon sentiment lorsque je vis le haut de la cheminée en bois sculpté par la soeur de Barrie ou lorsque je pénétrai dans la petite chambre ronde du haut, où Barrie fut marié par son oncle. C'était la pièce préférée de Margaret Ogilvy. Je l'imagine assise dans un coin. Il reste un petit objet en verre bleu de cette époque, que Sheila dépose entre mes mains. Je tremble légèrement, de plaisir.

Sheila est digne d'habiter ce lieu, car à sa manière elle entretient l'esprit de la maison (bien sûr que les maisons ont une âme et des souvenirs !) et la mémoire, d'une piété discrète, sans ostentation, mais réelle. Je sais reconnaître la sincérité lorsqu'elle est aussi éclatante. Il y a sur un mur une petite tapisserie en couleur qui représente le rideau de la pièce Peter Pan,


une jolie réplique qu'elle a brodée et qui fait sonner minuit dans mon coeur. Tous les détails y sont à l'identique, en miniature. Les noms d'Andersen, de Charles Lamb ou de Lewis Carroll répondent présents à l'appel du passé. Ceux qui me lisent ont souvent croisé une ou deux silhouettes ici même.


Lorsqu'elle acheta la maison, elle ignorait tout de son illustre prédécesseur. Un jour, en découpant de la vigne vierge apparut une plaque


sur laquelle était gravé le nom bien connu de mes lecteurs et elle se sentit le devoir de faire connaissance avec l'ancien propriétaire des lieux. Ceci en dit long sur le beau caractère de cette femme.

Je tairai tous mes émotions qui me prennent encore à cet instant en tenaille.

Merci Sheila pour ces instants. Tout simplement. Merci d'avoir subi mon anglais cassé et de m'avoir ouvert votre intimité.

Lorsque je lui demandai si elle avait ressenti la présence du fantôme du Barrie, elle me cita deux cas très précis et fort troublants, dont je ne révèlerai rien ici. Mais Jamie s'est manifesté. Ou il nous plaît de le croire et cela revient au même.






envoyé par misshollygolightly



"This is Jess's window.


For more than twenty years she had not been able to go so far as the door, and only once while I knew her was she ben in the room. With her husband, Hendry, or their only daughter, Leeby, to lean upon, and her hand clutching her staff, she took twice a day, when she was strong, the journey between her bed and the window where stood her chair. She did not lie there looking at the sparrows or at Leeby redding up the house, and I hardly ever heard her complain. All the sewing was done by her; she often baked on a table pushed close to the window, and by leaning forward she could stir the porridge. Leeby was seldom off her feet, but I do not know that she did more than Jess, who liked to tell me, when she had a moment to spare, that she had a terrible lot to be thankful for."


TO BE CONTINUED...

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  • Ma curiosité était à la fois celle d'une amoureuse éperdue de Barrie mais aussi faisait montre d'une circonspection toute linguistique. J'étais, par avance, intriguée par ce "den", tout comme il m'a toujours semblé que traduire "the glen" par "gorge" ou "vallée" était réducteur, car le glen est bien une gorge, mais écossaise, pourvue d'une distinction propre que ne recouvrent pas tout à fait les mots français. Je ne parle même pas des "Fens", qui sont encore autre chose... mais hors du territoire barrien.

    Dans ce mot "den" cohabitent deux choses : une dénomination géologique ou topographique et un symbole bien propre à l'imaginaire de l'auteur James Matthew Barrie, deux versants d'un mot qui se retrouvent dans la définition qu'en donne mon précieux Chambers's Scots Dictionary de 1911 (acquis sur ebay) : une gorge, une vallée, un ravin, "un repaire pour les jeux des petits garçons... Se cacher, se tapir dans un repaire..." Et le mot renvoie à "Dean", qui signifie "une profonde vallée boisée, une petite vallée, un creux où les deux bords du terrain sont en pente.


    Le Glen, en Scots, est... une jonquille !!! Tandis que le Chambers Dictionary of Etymology le désigne dans son sens le plus usuel et large comme "une profonde vallée". Le mot provient de l'écossais, vers 1489. En référence à un lieu nommé Glendew, issu lui-même du gaélique, "gleann", montagne, vallée...




    Quelques occurrences dans son oeuvre, à titre d'exemples, parmi ceux qui comptent double pour moi :

    "I don't know whether you remember, but there were once some children who played at Jacobites in the Thrums Den under Tommy's leadership." (Tommy and Grizel) [Si je vous parle des Jacobites, j'en ai pour un mois...]


    "One night the Painted Lady died in the Den (...)" (Ibidem)


    Et n'oubliez pas qu'il est des fantômes qui hantent le Den... (Chapitre VI de l'oeuvre susnommée)

    "She was still smiling at him, but her eyes were wet now, and she drew him on to talk of the days when Tommy was a boy. It was sweet to Grizel to listen while Elspeth and David told her of the thousand things Tommy had done for her when she was ill, but she loved best to talk with Corp of the time when they were all children in the Den. The days of childhood are the best."

    Oui, les jours de l'enfance sont les meilleurs de tous, y compris lorsque l'enfance fut une pourriture. Tout ceci parce que l'enfance est avant tout un regard que la plupart des adultes perdent ensuite. La plupart mais pas tous... Ceux-là, épargnés, sont à la fois des élus et des exclus. Tout se passe comme si l'enfance essoufflée, vers douze ans, en ouvrant, pour la première fois, ses yeux sur le réel, devenait aveugle. Une seconde paupière recouvre tout à coup le premier regard porté sur l'univers, une paupière que rien ne peut déchirer sinon peut-être un don ou bien une incapacité physique et psychique à vivre dans le monde des adultes. Ces enfants vieux sont des monstres lorsque les adultes les contemplent de biais, n'osant croiser leur vision, car ils auraient honte, sans se l'avouer, d'avoir déserté la scène de leurs émois véritables.



    TO BE CONTINUED...

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  • Je vous préviens.
    Je suis d'humeur sentimentale et je dégouline de bons sentiments. Tout ceci est écoeurant ! Si je pleurais, ce serait assurément une coulée de caramel sur mes joues couleur sucre d'orge. Ma bouche est une fraise Tagada et mes bras sont mous comme de la guimauve. Mon coeur est une pomme au sucre, mais empoisonnée, celle de la vilaine sorcière de Blanche-Neige et mes neurones des Bêtises de Cambrai. Cela promet !
    Vous allez avoir la nausée, je le crains. Je suis encore sous l'effet des drogues puissantes (une dose de cheval) qui m'ont été nécessaires afin d'accepter de monter dans un petit coucou de la British Airways et ma dyslexie revient danser sous mes doigts qui confondent les touches du clavier. Je vous demande du temps à tous afin de vous répondre personnellement.

    Toute cette série écossaise de billets barriens que je vous destine, au fil des jours, est dédiée à mon Mari, à mon Amour, à mon Dieu, au Magicien de ma vie, à l'homme sans qui mon existence serait une erreur (pardon Nietzsche, je vous plagie un peu). Je ne connais personne en ce monde qui soit capable de mettre le monde dans votre main comme il sait le faire si bien pour moi. Il est la beauté et l'innocence de l'univers, la lucidité également. Sa bonté n'en a que plus de mérites. Il est comme Alcide, le personnage de Voyage au bout de la nuit : "il tutoie les anges". Il ne le sait pas, mais il a plus en commun avec James Matthew Barrie qu'il ne le croit et il a apprivoisé le Capitaine Crochet qui, comme chacun le sait, est une mère sans enfant. Ceci, je vous le prouverai un jour.

    Mon voyage m'inspire tout de même la sobriété, malgré mon tempérament de feu et ma propension à ce que mon mari appelle "l'exaltation permanente", et ce que je nomme ma grandiloquence enfantine, car ici le sublime vous pétrifie. Ce n'est ni Kant ni Burke





    "WHATEVER is fitted in any sort to excite the ideas of pain and danger, that is to say, whatever is in any sort terrible, or is conversant about terrible objects, or operates in a manner analogous to terror, is a source of the sublime; that is, it is productive of the strongest emotion which the mind is capable of feeling. I say the strongest emotion, because I am satisfied the ideas of pain are much more powerful than those which enter on the part of pleasure. Without all doubt, the torments which we may be made to suffer are much greater in their effect on the body and mind, than any pleasure which the most learned voluptuary could suggest, or than the liveliest imagination, and the most sound and exquisitely sensible body, could enjoy. Nay, I am in great doubt whether any man could be found, who would earn a life of the most perfect satisfaction, at the price of ending it in the torments, which justice inflicted in a few hours on the late unfortunate regicide in France. But as pain is stronger in its operation than pleasure, so death is in general a much more affecting idea than pain; because there are very few pains, however exquisite, which are not preferred to death: nay, what generally makes pain itself, if I may say so, more painful, is, that it is considered as an emissary of this king of terrors. When danger or pain press too nearly, they are incapable of giving any delight, and are simply terrible; but at certain distances, and with certain modifications, they may be, and they are, delightful, as we every day experience. The cause of this I shall endeavour to investigate hereafter."

    qui me contrediront. L'incandescence fut intérieure et je perdis, un à un, tous mes mots. Je n'ai jamais su parler ; je bafouille ; je bégaie ; l'émotion tire en pelote le léger cheveu déposé sur ma langue et je commets des erreurs grammaticales, etc. Je préfère mille fois écrire, mais me voici démunie de tout en ce lundi, qui est le demi-réveil, en quartier de lune, d'un voyage inachevé. Oui, car je reviendrai, au plus tard dans 3 ans, pour les célébrations autour de J. M. Barrie, afin de jeter mon gant (vous savez sa couleur) à la mégère qui a osé écrire une suite à Peter Pan. Je lui demanderai raison de cette offense.

    Loin de croire connaître l'Ecosse, puisque je n'ai palpé, touché, reniflé et aimé qu'une minuscule partie de ce pays plus vaste qu'il n'y paraît sur une carte d'Europe, et ce, pendant un temps relativement court, je crois néanmoins en avoir saisi l'essence au premier regard. Il m'a semblé revenir au pays de ma naissance, celle qui précède la naissance des mortels, de tous les mortels qui n'ont pas peur de se souvenir. Mon sang coule aussi jaune que celui de Hook et j'en sais la raison.

    Nous sommes arrivés pendant un coucher de soleil sur un loch,




    un peu égarés dans l'immensité verte de l'Ecosse. La nuit était presque tombée. Nous avons cependant trouvé notre chemin parmi les ombres remuantes et sifflantes. Je savais que rien de grave ne pouvait m'arriver une fois les pieds sur le sol de ce pays-là. Je n'ai pas peur des fantômes. Je suis prête à les bercer dans mon giron, à les allaiter avec ma mémoire. Mon mari est le meilleur conducteur au monde et son sens de l'orientation, avec ou sans GPS (nous en avions tout de même un ; prudence est mère de sûreté), est incroyable. La preuve, nous ne nous sommes jamais (involontairement) perdus. Notre lieu de résidence fut exceptionnel. J'en reparlerai, car je dois rendre hommage à ces gens, discrets et efficaces, généreux dans leur silence.


    Le lendemain, notre premier devoir et désir fut de nous recueillir sur la tombe de notre hôte, celui qui avait inspiré ce voyage. Depuis toutes ces années, il était enfin temps de me présenter à mon vieil ami. De son lit éternel, il a une belle vue.









    J'ai cru sentir un instant sa main sur mon épaule gauche dès le moment où j'ai pénétré dans le cimetière sur la colline.




    Instinctivement, je me suis dirigée vers la tombe aimée. Je savais où elle était. Nul besoin de plan. Je courais. Une vidéo trop impudique vous sera scellée, car je crois que je me suis effondrée à ce moment-là, lorsque m'est apparu l'endroit.









    Mon mari est invisible. Il est comme l'épouse de M. Columbo. Mais vous pourrez l'entendre donner le "Clap" ou le "Top" de nombreuses vidéos. J'aurais pu couper au montage ces petites choses, mais je n'en ai pas envie.
    (Petit problème provisoire : il semble PARFOIS que mes vidéos s'arrêtent avant la fin. Soyez patients ou bien allez directement sur DailyMotion. Et, en toute occasion, préférez Firefox ou Safari pour lire mon JIACO.)


    Je ramène de la terre d'Ecosse, de la terre d'une tombe. Une petite poignée. Ceci n'est pas un sacrilège, comprenez-le bien, ni un illégitime et mesquin désir de possession, mais un moyen pour moi d'offrir un fragment de mon voyage à qui m'est cher.

    TO BE CONTINUED...
    A SUIVRE...
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    dimanche 29 avril 2007
    Oui, c'est la terrible vérité.
    Il était à l'aéroport d'Edimbourg, ce matin, afin de probablement me souhaiter un bon voyage.
    J'en ai froid dans le dos en y repensant. Je me dis que ce fut l'ultime clin d'oeil de mon cher Barrie, qui est doté d'un sacré humour.
    C'est une histoire que je vous raconterai peut-être un jour.
    De retour d'Ecosse, de ma maison de coeur et d'imagination, j'ai beaucoup à vous raconter et à vous montrer, mais ce soir il est tard et je suis très fatiguée. Une centaine de courriels à lire ou à jeter (et encore des demandes d'aide pour des mémoires de master ! Je sature. Les gens ne peuvent-ils pas travailler seuls ? J'adore aider, mais seulement quand les demandeurs me prouvent qu'ils ont déjà oeuvré par eux-mêmes - ce qui est rarement le cas.), une dizaine de lettres postales, beaucoup de choses à trier, à ranger (des trésors d'Ecosse), des vidéos à encoder (pour vous)... Mais, dès demain, je pense commencer mon récit en image de ce voyage peu ordinaire.
    Je vous laisse en compagnie de cette image égocentrique représentative de mon bonheur, je le crois, dans ce pays de fées, de fantômes et d'infini. Un petit champ de jonquilles dans un endroit cher à Jamie. Et dire que je suis censée de pas aimer la nature ! Mais comment ne pas l'aimer en Ecosse ?


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    mardi 24 avril 2007
    A Dieu vat ! Rien ne va plus. Les jeux sont faits. Je ne sais pas ce qui m'attend là-bas.


    Avril s'achève et c'est le mois où je vais fêter mes 25 ans ! Oui, j'ai 25 ans depuis... quelques années déjà. Je n'accepterai pas que l'on mette en doute l'année de naissance que je reconnais être la mienne. Je suis née quand je veux. Demain, s'il me plaît.

    Nous embarquons maintenant pour une mission hautement et autrement périlleuse : retrouver l'Ombre de Jamie dans son pays natal, l'Ecosse, dans un lieu nommé Kirriemuir - que je ne me risque même pas à prononcer. Je suis en possession d'un passeport très spécial et d'une diapositive de l'Ecosse. Ce sont quelques-uns des indices que j'ai trouvés dans une pochette surprise hier matin, au courrier... Je ne connais qu'une personne au monde pour écrire des lettres aussi artistiques et fantaisistes. J'emporte les disques offerts par ma Fauna, ceux de Jean-Christophe dont celui-ci, que j'ai promis de ne pas déflorer avant d’être Ailleurs,


    des plans, le cahier de mon amie "E"., mes notes et mes rêves, une caméra numérique, un appareil photo, mon téléphone, un rendez-vous particulier dans un endroit encore plus particulier en tête, et quelques fringues de rechange. Je voyage léger. Mon coeur, lui, pèse une tonne. Serai-je digne du voyage ?

    Je dors mal. Je suis fébrile.
    Comme me l'a écrit mon ami Jean-Christophe, il est hors de question que l'on me fournisse une autre paire de gants guimauve, alors je dois être vigilante, et accomplir mon devoir. Je ne sais pas si je reviendrai, alors je vous dis ceci, dissimulée sous une aile de l'ange Cole Porter

    porter
    Ev'ry time we say goodbye
    I die a little,
    Ev'ry time we say goodbye
    I wonder why a little,
    Why the gods above me
    Who must be in the know
    Think so little of me
    They allow you to go.
    When you're near
    There's such an air
    Of spring about it,
    I can hear a lark somewhere
    Begin to sing about it,
    There's no love song finer,
    But how strange the change
    From major to minor...
    Ev'ry time we say goodbye

    June Christy, 1955. 

    (merci à mon ami Jim pour cette chanson et sa présence)


    Ensuite, je vous tirerai ma révérence de la plus élégante manière qui soit, je l'espère en tout cas. Mais, jamais au grand jamais, je ne vous abandonnerai. J'ai des idées plein la tête.



    Itinéraire approximatif, dont je vous livrerai des vidéos, si tout va bien, dans une semaine :



    Edimbourg : 3 Great King Street - lieu où a vécu Barrie, très jeune, alors qu’il était journaliste. Peut-être des endroits connotés par Doyle et Stevenson, si le temps ne nous manque pas...

    Kirriemuir : 9 Brechin Road, lieu de naissance, le 9 mai 1860.




    Le bureau est celui qu'il possédait à Londres et qui fut rapatrié ici et des costumes de la pièce Peter Pan.




    Au numéro 11 est justement installée une pièce consacrée à Peter Pan




    où les visiteurs peuvent s’envoler jusqu’à Never Land et admirer les costumes originaux de la pièce, récemment restaurés.


    Et vous pouvez même vous faufiler entre les dents d'un crocodile.


    Le cimetière où il repose modestement auprès des siens. On lui avait proposé une place pour l’éternité, au Poet’s Corner of Westminster Abbey, mais il avait décliné la gracieuse offre, préférant revenir là où son cœur s’était attardé, près des siens, sur la Colline de Kirriemuir.






    Strath View, qui est cher au coeur de Barrie pour de multiples raisons. Ceux (rares en France) qui ont lu A Window in Thrums et connaissent sa vie savent pourquoi...


    Et puis le fameux Repaire de l'enfance perdue... les gorges d'Ecosse, la légende du "King over the water"...

    Sans oublier le bois de Caddam, bien connu du Petit Ministre ou de Tommy et Grizel.

    A bientôt, peut-être. Qui sait ?
    mercredi 18 avril 2007
    J'ai fait quelques emplettes pour mon palais imaginaire à la boutique Etsy.
    Mini-sélection de mes achats anglo-saxons.

    Boutique Curioddities. Une carte réalisée à partir d'un photomontage plutôt original dans son classicisme. L'auteur a créé toute une série dans le même ton ou esprit. Ce qui me choque dans cette photographie, ce sont les mains... Et j'aime que l'on me heurte juste assez pour me retenir.
    L'antropomorphisme des animaux est un procédé courant en littérature, en illustration ou en peinture, dans l'art en général, que j'affectionne particulièrement et pas seulement chez La Fontaine, Granville, Benjamin Rabier, Beatrix Potter , ou plus récemment avec la bande-dessinée Blacksad. On pourrait citer mille exemples à toutes les époques, sachant que l'un de ceux que je nommerais le plus volontiers est le texte de ce cher Honoré.

    « Dear Beauty, de longtemps d´ici la nature ne pourra former une Chatte aussi parfaite que vous. Le cachemire de la Perse et des Indes semble être du poil de Chameau, comparé à vos soies fines et brillantes. Vous exhalez un parfum à faire évanouir de bonheur les Anges, et je l'ai senti du salon du prince de Talleyrand, que j'ai quitté pour accourir à ce déluge de sottises que vous appelez un meeting. Le feu de vos yeux éclaire la nuit ! Vos oreilles seraient la perfection même si mes gémissements les attendrissaient. Il n'y a pas de rose dans toute l'Angleterre qui soit aussi rose que la chair rose qui borde votre petite bouche rose. Un pêcheur chercherait vainement dans les abîmes d'Ormuz des perles qui puissent valoir vos dents. Votre cher museau fin, gracieux, est tout ce que l'Angleterre a produit de plus mignon. La neige des Alpes paraîtrait rousse auprès de votre robe céleste. Ah ! ces sortes de poils ne se voient que dans vos brouillards ! Vos pattes portent mollement et avec grâce ce corps qui est l'abrégé des miracles de la création ; mais que votre queue, interprète élégante des mouvements de votre coeur, surpasse : oui ! jamais courbe si élégante, rondeur plus correcte, mouvements plus délicats ne se sont vus chez aucune Chatte. Laissez-moi ce vieux drôle de Puff, qui dort comme un pair d´Angleterre au parlement, qui d'ailleurs est un misérable vendu aux whigs, et qui doit à un trop long séjour au Bengale d'avoir perdu ce qui peut plaire à une Chatte. »

    J'ai aussi succombé à cette image.



    Boutique Alice's Looking Glass Studio. Autre photomontage qui s'exprime, cette fois-ci, dans un cliché à encadrer. Un petit air carrollien me l'a fait aimer d'emblée et qui me fait songer à tout ce dont je dois vous parler en ce qui concerne Carroll, notamment le curieux film de Jonathan Miller... Une merveille surréaliste.
    Pour en savoir plus : ici.
    Extrait :







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    Nota Bene : une petite critique de notre Petit Oiseau blanc ici.


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    dimanche 15 avril 2007
    De Truman Capote, ce ne sont pas les singeries ou les grimaces affectées de l'homme de salon, le caniche devenu célèbre et un peu précieux, qui m'intéressent, mais les récits plus ou moins véridiques de son enfance : A Christmas Memory (lire ceci), The Thanksgiving Visitor, I remember my Grandpa... Ces textes contiennent l'essentiel à mes yeux. Ils sont le carbone de tout ce que je pourrais écrire, mille fois moins bien que lui.

    En France, on ne sait pas écrire de nouvelles, ou bien les éditeurs n'en publient pas volontiers. Pourtant, c'est un genre exigeant, qui ne pardonne aucun mot en trop ou faute. Je n'en ai jamais publié qu'une seule dans ma vie, j'en ai écrit pas mal, mais j'ai cessé, car le format ne me convient décidément pas. Je suis du genre hystérique excessive.

    Dans le fond, peut-être que Miss Sook est la première pour moi, avant Holly Golightly ; et, avant ces deux-là, le petit garçon mal-aimé qu'il fut.



    Petit souvenir d'enfance, dont l'évocation m'a été suggérée par une correspondance assidue en direct de l'Amérique, avec mon ami Jim.



    Patte-de-canne

    La mémoire est capricieuse parce que, souvent, elle ne restitue les êtres du passé que par des détails, des fantômes gouailleurs sans contour ; elle ne livre que de fugitives visions, la plupart du temps plus intellectuelles que sensibles ; elle frappe avec un emporte-pièce sur la mosaïque du temps vécu. La mémoire est un alambic. L'avantage de telles lacunes, c'est qu'elles nous autorisent à vivre une seconde fois notre passé en étant un peu plus maître de son déroulement : je crois que je n'ai vécu que dans l'attente de ce jour où je serai en mesure de recréer ce passé, de faire dévier, même de façon infime, chaque être et chaque événement de son centre intime de gravitation, du petit pivot auquel il s'accroche. Je me suis donné, dans l'acte d'écrire, le droit suprême d'être infidèle à tous et à tout. Dans l'écriture, il n'y a que la vérité que l'on veut bien lui donner, en tant que démiurge, et celle que l'on veut bien prendre, en tant que lecteur. Les personnages de roman et les situations auxquelles ils participent sont presque toujours bien plus et bien moins cruels que l'auteur ne le laisse entendre. La véracité n'a aucune valeur en littérature, c'est la force seule qui compte et elle a tous les droits : le talent ou l'impuissance à se survivre. Quoi qu'il en soit, ce que l'on tait, soit par pudeur, soit par lâcheté, ou encore par lassitude, c'est cela seul qui en définitive restera et témoignera de notre fiasco.
    Je me souviens que le père Miau était un vieil homosexuel, grand, étique, le teint et les cheveux blancs, avec des yeux bleus humectés. Il vivait dans une petite maison peinte en gris qui était installée sur l'extrême bord du trottoir. Son seul compagnon officiel était un fox-terrier à la fourrure blanc sale qui adorait le sucre et répondait au nom de Mickey.



    Il y avait une vraie passion entre ces deux êtres, comme il n'en existe guère chez les êtres humains : ils prenaient soin l'un de l'autre, sans pensée égoïste. Mickey ralentissait sa course lorsqu'il sentait que le vieux peinait à le suivre, et ce dernier, qui n'avait pas le sou, se privait sûrement pour offrir des friandises au roquet. La première chose qui m'a profondément découragée de vivre fut la tragédie qui survint dans la vie de ce couple. Je ne comprends pas pourquoi les hommes finissent presque inévitablement par accepter de vivre en payant un tribut aussi lourd, la sécheresse du cœur. Il faut qu'ils soient pourvus d'une sacrée dose d'indifférence. A moins que toute la vérité ne réside dans le fait qu'ils n'aiment jamais, sans pour autant cesser de s'illusionner sur ce point. Il y a dans notre organisme je ne sais quel antidote ou anticorps que nous fabriquons contre la tristesse. Une tristesse que pourtant nous sécrétons aussi, et peut-être en même temps que son contrepoison.
    Le père Miau fut victime d'une attaque d'hémiplégie et on le transporta à l'hôpital, où il demeura de longues semaines loin de Mickey. Les Ravier, les voisins, songèrent -et l'idée de l'ouverture imminente d'une succession, sans héritiers, les aida dans cet effort de pensée - à leurs devoirs envers leur voisin esseulé. Ils vinrent nourrir Mickey et le sortirent deux fois par jour. Ils le retrouvèrent mort un matin. J'ignore qui apprit la triste nouvelle au père Miau ni quelle fut sa peine, mais pour la première fois de mon existence, je m'interrogeai sur le sens de ce qui me semblait être une injustice. Plus tard, je compris qu'il n'est jamais question de justice ou d'injustice, mais seulement d'événements aveugles et impersonnels que s'attribuent les hommes et dont ils s'imaginent être les uniques destinataires. Dieu, s'il existe, ne distribue pas de bons points.
    Ma grand-mère s'affligea évidemment des malheurs de son voisin et projeta une visite à son chevet, elle, qui ne sortait plus à l'époque qu'une ou deux fois par an, et encore seulement en pantoufles, rapport à se pieds déglingués. Elle commanda, dans ce but, chez les Des Grameau -les pâtissiers les plus médisants de toute la ville- deux douzaines de biscuits à la cuiller, aussi immangeables que coûteux. Elle prit un taxi et se rendit auprès de lui, avec son précieux paquet sous le bras, qu'elle écrabouillait contre son thorax et sa poitrine mafflue, tant elle était aiguillonnée par la découverte de sa propre générosité. Elle le trouva assis dans un fauteuil, et elle ne vit que ses yeux. On aurait dit une cuvette bouchée : ils étaient plein d’eau. Ils ne regardaient déjà plus rien de réel. Sa visite impromptue ne lui apporta aucun bien-être et, même si elle le sentit avec évidence, elle ne regretta pas son geste. Mais je crois qu'elle se rendit compte qu'elle n'était pas faite pour la bonté. Elle avait peut-être trop besoin qu'on l'aimât en retour. Je ressens tout le contraire : l'idée que je puisse me rendre utile et que l'on puisse avoir l'envie de m'aimer en retour, sans que je l’aie décidé, me dégoûte. Heureusement, cela ne s'est pas produit plus d'une ou deux fois jusqu'à ce jour : la première fois, j'avais dix ou onze ans, et c'est Patte-de-canne qui fut responsable de ce réflexe de fuite qui me caractérise lorsque je me sens coincée dans un piège à bons sentiments. Patte-de-canne était une vieille femme désabusée de quatre-vingts ans qui traînait une jambe droite inerte. Elle était décharnée (dans un bien plus mauvais état que le père Miau), son visage était creusé au niveau des mâchoires, ce qui avait pour résultat de faire apparaître des joues saillantes et un menton de sorcière, ses yeux étaient enfoncés dans leur orbite, sans doute avaient-ils eu trop de misère à contempler et cherchaient-ils à camoufler leur pauvre lumière derrière une paupière ratatinée.
    Rien d'étonnant à ce que les vieux me préoccupent autant si l'on réalise que j'ai passé la quasi totalité de ma vie auprès d'eux. Partager le désespoir, ou plus exactement l'absence d'espoir -le désespoir suggérant certainement une forme de lutte dans le refus- des vieux, leurs incalculables tracasseries liées à leurs diverses infirmités physiques, présentait un inconvénient : c'était un peu comme connaître la fin de l'histoire alors que l'on en est qu'au début. La vie perd inévitablement de sa saveur. Tous les vieux que j'ai connus avaient ce même air résigné, quoiqu'un peu boudeur, et je me demandais souvent comment vient le consentement à la mort, mais peut-être n'est-ce que le renoncement à la vie. Ils me l'ont appris, bien qu'au début j'eusse eu du mal à me faire à cette idée : c'est par fatigue, plus encore que par ennui, que les hommes se défont de la vie comme d’un linge sale. Lorsque l'on vit assez vieux pour être vermoulu, culbuté, délabré, usé jusqu’à la corde sensible et que l’on n’a plus, dans sa besace, que de vagues regrets sans rien ou personne à qui les attribuer, il est alors très rare que ce soit la vie qui prenne congé des vieux, ce sont eux qui la balaient d'un revers de main, avec un geste semblable à celui qui chasse une poussière ou un insecte, mais sans tristesse.
    Patte-de-canne ne s'éloignait jamais de sa drôle de petite bicoque blanche, et son mari les ravitaillait, chaque jour, auprès des commerçants du marché, à deux pas de nos habitations respectives. Il demeurait assez vaillant malgré son grand âge et pourvoyait aux besoins peu exigeants du ménage. Ils vivaient ensemble sans trop de désagréments, semble-t-il, ni mieux ni plus mal que la plupart des couples mariés, jeunes ou vieux : dans une médiocrité domestiquée, sans appel. J'oublie peut-être le jour où Patte-de-canne coursa -le mot est mal choisi compte tenu de ma description précédente- son mari avec un hachoir à la main, en hurlant qu'elle allait le tuer. Personne ne sut comment leur voisine, Madame Lemoine, parvint à mettre fin à ce « regrettable incident » ni les motifs de cet accès de rage, ultime soubresaut de la vie qui brûlait encore en elle, avant-dernière convulsion de l'aigreur. Le mari de Patte-de-cane ne tarda pas trop à réaliser l'apparente volonté de l'infirme-au-hachoir, mais je n'ai aucune raison de présumer que sa mort ne fut pas « naturelle ».
    Madame Lemoine, dont je n'ai ni bien ni mal à dire, prit la relève du défunt et s'occupa de Patte-de-canne, elle adopta ce rôle avec désintéressement et dévouement parce que ses journées étaient vides : les voitures de ses enfants n'étaient pas en assez bon état pour entreprendre un voyage, et, fréquemment, ils étaient désolés d'être dans l'impossibilité de venir l'embrasser et de lui apporter, eux-mêmes, une mauvaise boîte de gâteaux secs expédiée, une fois tous les trois mois, par voie postale. Malheureusement pour Patte-de-canne, la bonne volonté de Madame Lemoine eut à souffrir de la fêlure d'un fémur excentrique, et l'infirme resta seule pendant les mois de repos que nécessita l'os brisé. L'épicier du coin profita de l'aubaine et lui livra de quoi manger. Il fut d'ailleurs le seul à se risquer dans sa tanière parce que tout le monde la reluquait, en coin, depuis l'affaire du hachoir et la mort subite de son époux, un vieillard apparemment en bonne santé. Je m'avisai tout de même, de mon propre chef, sans que ma propre vieille y trouvât à redire, de lui apporter des fruits et un bouquet de marguerites. Je voulais probablement mimer la bonté de ma grand-mère - les enfants sont des êtres parfois très conventionnels - et être digne de l'amitié des Quatre filles du Docteur March, dont j'avais récemment fait la connaissance. Patte-de-canne accueillit mon geste avec trop d'effusions ; elle avait dû être dépouillée de toute forme de tendresse depuis longtemps, depuis toujours, et ne savait pas la manière. Mais ses débordements d'affection nerveux m'effrayèrent, ses mains s'agrippaient à moi, elle s'enthousiasmait pour un acte presque involontaire en somme, une sorte raptus, et cherchait visiblement à mettre en branle tous les artifices à sa portée afin de me retenir un peu plus longtemps. Dieu sait qu'elle en avait des malheurs à se faire consoler, mais je n'étais pas très concentrée : j'avais envie de me gratter l'épaule, les moustiques avaient encore fait un festin, la nuit dernière. Etrangement, ma pitié et ma compassion avaient disparu pour laisser place à ce qui pourrait se définir comme un vague écœurement. Je méprisais cette peine dans laquelle elle se complaisait et dont elle faisait son fonds de commerce. Une peine ruisselante qui, visiblement, lui donnait de la joie. Je n'aurais pas été étonnée d'apprendre qu'elle se masturbait un peu le coeur en pensant à sa vie de pupille, à son jeune fiancé mort à la guerre. Sa bouche effilée prenait forme, un peu de bave coulait le long des commissures, elle était avide de malheurs. Elle dégueulait ses larmes. C'étaient pour elle des sucreries dont elle se gavait et qui lui gâtaient le caractère. Je me méfiais de ses chatteries à n'en plus finir. Son regard était matois et il ne me trompait pas. Je ne savais plus quelle tactique employer pour me débarrasser d'elle : elle prenait des habitudes et m'empoignait par les bons sentiments qu'elle croyait à tort déceler en moi. Ce petit jeu me lassa au bout d'un mois de clabauderies, de listes de courses et de prétextes pour m'attirer chez elle. J'avais enfin trouvé un moyen efficace pour l'éviter (elle me guettait derrière son carreau et se précipitait dès qu'elle apercevait une paire de nattes au coin de la rue, si bien que je n'osais plus sortir) : je prenais mon élan quelques mètres avant son antre et je courais aussi vite que j'en avais la force, ne m'arrêtant qu'une fois parvenue au marché. Les premiers temps, j'eus raison de sa finesse, mais elle saisit rapidement le sens de ma précipitation, et je l'entendis crier mon prénom pendant plusieurs jours, enfin elle finit par se fatiguer. Mais je l'entends encore ce cri : une sorte de glapissement hystérique, mais je ne conserve aucun remords de mon échappée, sinon un peu de honte, un sentiment plutôt familier.

    Tous ces gens sont maintenant morts et j'ai à peine l'air vivante quand je parle d'eux.
    *************
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    samedi 14 avril 2007
    Pour Fauna, qui m'a offert ce disque-là et bien d'autres bonheurs et trésors, je dépose dans la nacelle de son absence ces quelques lignes, afin qu'elles l'accueillent tendrement à son retour. Je contemple une jolie fée de papier, celle-ci, qui sied si élégamment à mon musée Barrie et qui porte sur son dos les mots de mon amie aux mille visages mais à la voix unique. Elle seule retrouvera son chemin dans le labyrinthe de mes pensées, dans ce billet à plusieurs entrées et à liens secrets.

    ***
    La longe qui tenait mon cœur s’est rompue.
    Vous n'aviez pas compris ?
    Les choses ont changé.
    Le centre de gravité s'est déplacé. Personne d'autre ne s'en était rendu compte.
    D'égoïste, je suis devenue égocentrique.
    Sacrée différence tout de même.
    Le soleil, c'est moi.
    Je brûle, je ne suis plus calcinée.
    Voilà, je suis devant vous sans fards.

    On pourrait palper le cadavre sous la peau. On le devine. Je vois toujours le cadavre chez les gens. C'est la première chose que j'estime en serrant la main de quelqu'un. Je calcule ses chances de survie.
    Cela m'apaise.
    Non, ce n'est pas morbide. Ce n'est pas plus mon amour du gothique, ce romantisme noir, inversé, la cause de tout ceci.
    Comment pouvez-vous croire cela un instant ?
    J'ai peut-être simplement un sens des raccourcis aiguisé, mais du landau au fauteuil roulant il y a moins qu'on ne le croit ; exactement la même distance qui persiste à s'établir entre le premier cri de vie (et de désespoir, si l'on en croit Schopenhauer) du nouveau-né cyanosé et le hurlement de bête du vieux en train de crever dans son lit à ridelles ; la vie et la mort sont des putes, mais la seconde fait toujours payer comptant. Entre les deux extrêmes, tout n'est que divertissement. Profitons-en. Nous avons tous les mêmes chances, un peu esquintés ou en bonne santé.
    Dans la lumière crue et malade de ma caméra, qui me fait un teint jaune et des mires poudrées de violet, je prends les mesures de mon cercueil dans le temps qui me reste ; je compte les cercles autour de mes yeux, comme si je datais un tronc d'arbre. Cela tient en une photographie.
    Il était une fois, une très vieille dame, qui allait mollement sur ses quatre-vingt-dix ans. Elle se dandinait un peu, à cause de sa bosse qui la faisait chavirer léger. Quatre-vingt-dix ans. Oui, je sais que cela doit vous sembler très vieux et vous vous dites, sûrement, qu’elle était bonne à mourir, après tant de temps passé dans le four de l'existence. Je ne suis pas sûre que vous oseriez employer le mot crever, ou alors bien discrètement, dans le secret de votre citadelle intérieure, à l’abri du regard de l’autre. Car l'autre est gardien de la morale, vous le savez.
    Personne ne meurt réellement de chagrin. C’est quelque chose que j’ai appris très vite. Avant tout le reste, alors que je croyais encore au Père Noël et que je regardais sous les cotillons d’organdi de la Mort, que je prenais pour ma mère imaginaire, que j’appelais et taquinais dans mes jeux. Je la piquais un peu parce que je la trouvais lente et que ses gestes imprécis me troublaient un peu.
    Personne ne meurt réellement de chagrin. Je savais.
    Tout ça parce que je sentais, en moi, en vie, la vie et l’envie qui glougloutaient en trombes saccadées et généreuses. Elle a touché le bout de mes cheveux, avec tristesse, et m’a offert un quart de sourire. Mes cheveux sont longs et bruns. Ils sont la sève qui suinte de mon corps vivant. Les siens sont blancs, clairsemés et secs. Sous le sourcil gauche la peau commence à se décoller par bribes et s’attarde, finale, royale, immuable, tenace, vorace, dans ce désert où il est planté ce visage au bout d’une pique.
    De l’adolescence à l’aube de la seconde enfance, nous sommes tous des ordures. Certains plus que d’autres, mais nous puons tous le renfermé. Reniflez, fouillez, vous lirez votre avenir dans les viscères du premier crevé que vous croiserez. Il n’y a que deux attitudes possibles face à la vieillesse : le dégoût violent et le rejet ou bien la compassion extrême. Il est des prédateurs et des sauveurs ; il existe, en revanche, très peu de gens honnêtes avec leur ressenti. Aucune des deux attitudes n’est la bonne. On s’accommode très bien de sa propre déchéance - le premier moment de surprise altéré, il n’en est pas de même de celle des autres. Personne n’aime fixer dans le blanc de l’œil – que les vieux ont plutôt jaunâtre – la mort. Ce n’est pas tant la vieillesse qui est haïe que ce dont elle est porteuse. Croyez-vous que cette bosse ait toujours été à sa place et qu’aucune jeune main n'ait jadis cajolée son emplacement ? Pensez-vous vraiment que le doigt était si cintré qu’il eût pu autrefois crocheter un napperon sans aiguille ? Êtes-vous capable de croire une seconde que le vieux ait toujours été vieux ?

    Elle a sauté dans le vide. Du quatrième étage. Une fin d’après-midi. Son corps s’est arrêté à la surface du béton, retenu par une anse de feuilles et d’arbres. Le sang a coulé. On est venu la chercher. On savait que les bébés entraient et sortaient par les fenêtres, mais les vieillards ? C’est rendre sa force et son droit à la vieillesse que de croire en l’impossible. *
    Elle s’est brisée en mille morceaux ; elle a survécu et j’ai pleuré deux fois : pour la morte et pour la vivante.

    Elle aimait follement son mari (il existe heureusement de rares êtres qui meurent de chagrin) qui, hélas, était encore plus vieux qu’elle et avait dépassé les 102 ans. Il ne bougeait plus. Il vivait dans son lit. Il parlait peu mais entendait encore et voyait, mal, mais il apercevait l’ombre de sa femme et de son médecin. Il vivait et il était rassuré, coincé entre les crans d'arrêt de cette joie simple mais réelle de l'instant. Oh, bien sûr, rien de digne, comme se le figurent les gens-qui-savent, ceux qui ont la main sur le cran de la perfusion pour faire partir un peu plus vite. Il vivait tant et si bien qu’il donnait une raison de vivre à sa vieille femme. Il le savait, cela le portait dans les cieux. Puis, un jour, peu avant Noël 2006, il est mort. Alors, sa vieille a décidé qu’elle allait le rejoindre. Un jour, comme ça, sans prévenir. Elle s'est jetée de la fenêtre du quatrième étage. Moi, pendant ce temps-là, je pipais mon vécu.
    Je me suis dit que c'était de ma faute. Oui, j'aurais dû retourner la voir très vite mais j'avais les foies. Cette vieille, c'était moi. Je n'aime pas me mirer dans mon avenir. Je ne suis pas assez solide. Mais j'ai imaginé son vieux corps tout moche, que j'aimais non pas par compassion mais par amour, de cette petite bonne femme mystérieuse, qui s'écrasait sur le sol.
    Et, parce qu'il n'y aucune raison de vivre ou de mourir, elle a survécu.
    J'aime cette photographie. Je clarifie, mon cher Jim, j'aime le regard que je porte sur mon regard. Je suis comme un des héros de Paul Auster, qui prend une photographie, chaque jour, du même endroit pendant des années. Je le fais avec mon regard. J'essaie de scruter en moi une étincelle d'humanité.
    Je suis l'objet sur la photographie.

    Je n'ai plus vraiment peur.

    Ni de vous, encore moins de moi. Pas plus que d'elle. Je lui tiendrai la main, quand elle partira, et je ne pleurerai pas.

    Je suis déjà partie, de toute façon, avec elle.

    Il n'y a vraiment qu'une chose positive en ce monde : la joie. Mon regard vous le cèle peut-être, mais n'en doutez pas. J'ai coupé la calotte de mon cerveau et l'on peut plonger les deux mains à l'intérieur, comme dans un pain-surprise. Il y a un peu de tout à l'intérieur.

    Ecoutez ! Admirez mes monstres intérieurs !

    Ladies and gentlemen
    Harry's Harbour Bizarre is proud to present
    Under the Big Top tonight
    Human Oddities
    That's right
    You'll see the Three Headed Baby
    You'll see Hitler's brain
    See Lea Graff the German midget who sat in J.F. Morgan's lap




    Je ne sais plus très bien écrire. Je suis partie un peu loin, je me noie dans la goutte d'encre italienne.
    Vetri a lune.

    J'avais envie depuis le moment de ma découverte d'écrire ma passion pour un disque, pour une oeuvre qui n'est pas commune et dont l'écoute m'est nécessaire en ce moment plus qu'à n'importe quel autre. Lorsque je me vide de ma fiction personnelle, j'éprouve le besoin d'une perfusion des idées et des mots des autres, à condition que ceux-ci soient frères de peur des miens. J'y vois un encouragement à ne pas renoncer au centre de ma douleur exquise d'écrire.

    "Au milieu du chemin de notre vie, je me suis retrouvé dans une forêt obscure. J'avais perdu la voie droite." (Dante)

    Ainsi, vous serez un peu dans mes pensées et vous n'aurez pas l'impression que je vous abandonne tout à fait.


    Vous savez combien j'aime les histoires, celles que me racontent les autres et celles que j'invente. De tout temps, les histoires ont été les nourrices de l'humanité et je crois même que la Rumeur, la grande clameur anonyme et salope, menteuse et fiévreuse, de la ville n'est que la bâtarde des histoires que l'on ne raconte plus au coin du feu.


    Ecoutez celle-ci ! Abreuvez-vous à la source du conte.


    Tom Waits est l'Ogre de mes jours et de mes nuits. Je sais qu'il en est de même pour mon amie. J'ai toujours bien aimé le Grand Méchant Loup ; sous sa peau se cache autre chose, car les véritables monstres portent rarement fourrure et crocs acérés, c'est même tout le contraire. Mais je ne vous apprends rien, à moins que vous ne soyez de ces amnésiques de l'enfance, et dans ce cas nous n'aurions plus rien à nous dire.

    Musicalement, cet album est une curiosité, y compris peut-être pour ceux qui sont familiers du dandy dépenaillé à la voix rauque. Il est peut-être difficile de l'héberger dans le creux de l'oreille. Ce n'est pas une mélopée pour divertir ou accompagner le pas chancelant des pensées intimes, c'est le sens de l'histoire qui fait sens, qui bat la chamade, qui heurte et berce avec une violence sourde et la légèreté de l'innocence. On y reconnaît, plus ou moins bien cachées, des mélodies écrasées d'Ennio Morricone, des musiques gitanes comme celles que choisit Kusturica dans ses films... et mille choses que personne ne peut énumérer, à moins d'y perdre la raison.

    Cet album est issu d'un spectacle musical composé par un trio. L'album comporte des versions studio des morceaux écrits pour la pièce, mise en scène par Robert Wilson et écrite par William S. Burroughs.

    L'histoire s'inspire plus ou moins d'un conte ou d'une légende de l'Allemagne, Der Freischütz . Un homme fait un pacte avec le Diable.
    I said Satan will fool you
    Cette histoire avait déjà été adoptée par Carl Maria von Weber dans un opéra. Wagner, entre autres, sera beaucoup influencé par cette oeuvre.
    Forts de ce succès, Tom Waits et sa compagne, Kathleen Brennan, retravailleront avec Robert Wilson pour deux "opéras", Alice (dont je parlerai mieux sur ma page Lewis Carroll) et Woyzeck (d'après Büchner ; Cf. l'album Blood Money que ma Fauna m'a également offert).
    L'ambiance est crépusculaire et fait songer à Tod Browning en maints endroits. On vous prend la main et on vous entraîne dans une danse infernale, vous prenez part au banquet des morts-vivants et au carnaval des âmes (damnées ou non). La voix de Tom Waits, qui est son meilleur instrument de musique, vous découpe l'esprit en plus de morceaux que vous ne pouvez en compter. Même sa scie ne peut faire mieux. La richesse cacophonique et oxymorique de sons de cet album n'a d'égal que celle des images que peint Tom Waits, qui passe d'une ballade romantique à l'évocation des entrailles de l'âme, en bougeant à peine, avec la même crédibilité.

    Come on a long with the Black Rider
    We'll have a gay old time
    Lay down in the web of the black spider
    I'll drink your blood like wine

    Sifflets de train, corbeaux, ambiance (faussement) lugubre (je n'ai pas peur du noir ou de la laideur apparente, car je sais que le Beau est toujours derrière), The Black Rider a tout pour me plaire. Tom Waits déclare qu'il a essayé de "Frankensteiniser" la musique pour obtenir une sorte d'épave de train déraillé. Personne ne peut mieux dire que lui.
    Il suffit de redevenir un enfant.
    Now when I was a boy
    My daddy sat me on his knee
    And he told me
    He told me many things
    And he said sone
    There's a lot of things in this world
    You're gonna have no use for
    And when you get blue
    And you've lost all your dreams
    There's nothin' like a campfire
    And a can of beans
    Il suffit d'écouter les conseils de Papa Waits :
    The more of them magics you use, the more bad days you have without them
    So it comes down finally to all your days being bad without the bullets
    It's magics or nothing
    Time to stop chippying around and kidding yourself,
    Kid, you're hooked, heavy as lead
    Il suffit de savoir que la fin n'en est pas une :
    And when I'm buried in my grave
    Tell me so I will know
    Your tears will fall
    To make love grow
    The briar and the rose
    Extraits :
    Lucky Day : waits
    The Last Rose of Summer : waits
    ****
    Je joins à ces notes disparates, une bibliographie qui tient en un seul livre, acheté hier, chez un bouquiniste de ma connaissance, et déjà en train d'être dévoré, Romantisme Noir, Cahier de l'Herne.


    Je suis aux anges.

    *Emprunt de ces deux phrases à mon ami Siréneau que je fais miennes.

    **********
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