lundi 18 décembre 2006
J'ai envie de dédier ce petit billet à "celui qui sait remuer ses sourcils comme James Matthew Barrie", témoignage d'amitié barrienne et cinéphilique - bien que je ne mérite pas le terme de cinéphile. Encore un film de Lubitsch ! Oui, c'est Noël avant l'heure !
Oui, mais il vaut la peine d'en parler, pas seulement parce qu'il est génial, mais aussi parce qu'il ressort dans deux salles parisiennes, dont la Filmothèque Quartier Latin (rue Champollion), qui est un cinéma auquel je suis attachée depuis longtemps (il vient de partiellement changer de nom, néanmoins le même monsieur charmant officie depuis tout ce temps). Puisqu'il n'est pas encore sortie en DVD et puiqu'il ne passe pas très souvent sur les chaînes du câble (hormis récemment sur France 3, me souffle-t-on à l'oreille), il n'est pas inutile de transmettre cette information capitale.
Le scénario est en partie de Samuel Raphaëlson dont je vous ai déjà parlé. Sonia, la veuve la plus riche de Marshovia , posède plus de la moitié du pays. Elle part à Paris, lassée de son statut de veuve, à la faveur d'une rencontre avec le comte Danilo, qui lui déclare sa flamme sans connaître son visage. Elle le repousse, puis regrette ce rejet, car son imagination s'est enflammée. Le plus grand séducteur du pays a réveillé en elle le désir de l'amour. En témoigne ce journal intime, vierge depuis de longs mois, qui s'ouvre à nouveau pour recueillir ses nouvelles aventures. Le roi est aux abois. Il faut que Sonia revienne. Un seul homme semble désormais capable de sauver le pays : le comte Danilo. Sa mission, ultra-confidentielle, consiste à séduire la veuve et à l'épouser. Car, si sa fortune tombait entre des mains étrangères, cela en serait fini du roi et du pays...
Maurice Chevalier (à l'accent anglais si... français mais adorable) et Jeanette MacDonald (minaudante) sont les deux acteurs principaux, qui vont jouer au chat et à la souris, avant de glisser dans les bras l'un de l'autre - et non pas de tomber, car tout est danse et légèreté et rien ne ressemble jamais à une chute dans les films de Lubitsch, pas même les happy ends... La chute est verticalité brutale, quand le cinéma voluptueux et sensuel de l'ami Ernst se déploie gracieusement dans l'horizontalité des draps froisés et des divans rebondis (Cf. la scène où la belle Sonia est sur le point de succomber aux assauts de Danilo, dont la mélodie du nom exprime la séduction), synchroniquement plutôt que diachroniquement. Un des secrets de Lubitsch est peut-être là, dans ce choix de l'image qui avance, qui se superpose à la suivante, plutôt qu'elle ne tombe, ne s'accumule et ne prenne finalement trop de poids, en faisant boule de neige. Reste à savoir qui est capturé par l'éternel piège, qui est la proie et qui est le fauve. L'amour est dangereux, lorsqu'il devient trop sérieux, et sa punition, semble nous dire de temps en temps, Lubitsch est le mariage ! [Je ne souscris absolument pas à cette vision désenchantée, bien au contraire ! ] Voir la dernière scène où les deux amoureux potentiels sont enfermés dans une cellule jusqu'à ce qu'ils disent oui, pour le bien de tous... Lubitsch, dans ce film, plus que jamais, c'est le mouvement incessant de la vie et un sens absolu du tempo, un style et un bonheur, cette fois-ci, de tomber juste qui pourraient se résumer par le vieux mot grec kairos. Le bon mot ou la réaction idoine, la vivacité d'esprit, qui prouvent que l'on n'est pas égaré par le tourbillon des sentiments et de la vie, mais que l'on devance presque chaque événement, donnant ici et là l'impulsion ou le coup de pied qui pourraient faire défaut aux situations, quitte à déposséder en un tour de passe-passe une dame de sa chaussure, afin de la déshabiller sans qu'elle s'en aperçoive, ou en la détroussant l'air de rien (Cf. certaine scène de Trouble in paradise) au propre et au figuré. Le vêtement et les accessoires servent le thème du voilement/dévoilement qui est souvent à l'oeuvre dans ses films et qui symbolise la progression du sentiment amoureux, en écrivant implicitement dans le cadre la carte du tendre, à travers ce qui est masqué, puis révélé (Cf. la voilette de Sonia, qui masque son visage, exceptées ses lèvres) ... Ce jeu de cache-cache exprime aussi une forme de fétichisme de la part du réalisateur, plus ou moins comparable à celui de quelqu'un comme Bunuel. Les relations amoureuses chez Lubitsch s'apparentent toujours au rapt ou au vol, à une forme de manipulation (de bon aloi), à un jeu de dupes (consentantes). La veuve joyeuse (Die lustige Witwe), comme chacun le sait, est une opérette célèbre de Franz Lehar. Si Lubitsch garde à peu près la trame, il insuffle à l'histoire son art de filmer, qui est tout autant un art de vivre et pourquoi pas une philosophie de l'existence ? Derrière la frivolité apparente des ébats et des échanges, derrière ce mouvement perpétuel des corps et des coeurs, derrière la volubilité des lèvres, se tait peut-être une réserve plus profonde, qui viendrait tout gâcher si elle trouvait manière à s'affranchir du postulat lubitschien : le léger et l'aérien. Sonia incarne cette tendance sérieuse qui contamine peu à peu l'esprit de désinvolture de Danilo, mais qui est sauvé in extremis par une pirouette finale du cinéaste. Deux versions furent filmées (américaine et française), avec une distribution différente en ce qui concerne les rôles secondaires. Maurice Chevalier ne voulait pas de cette partenaire-là et, pourtant, on ne perçoit pas l'antagonisme qui peut exister entre les deux acteurs. Ce film est un film riche, ne serait-ce que par la pléthore de moyens mise à la disposition du Maître, très visible dans les scènes de bal, chorégraphiées au millimètre et débordantes de luxe. Bien qu'à maints égards il reflète la quintessence du cinéma lubitschien, ce n'est pas le film que je préfère. Peut-être que le maniérisme de Jeanette MacDonald m'éloigne un peu, trois pas en arrière, pour contempler les scènes, au lieu que mon oeil s'épanouisse en leur centre. Je ne sais pas à quoi cela tient. En de nombreux endroits, je suis enchantée, mais je ne le suis que par à-coups, alors que j'ai coutume de l'être de A à Z. N'allez pas croire pour autant que je boude mon plaisir, ce n'est pas mon style. Disons, pour résumer, que le plaisir que l'on prend à voir ou revoir ce film est latéral alors que d'ordinaire il me paraît frontal. Cela tient sûrement à la nature de la relation des deux (futurs) amants, qui ne cesse qu'au dernier instant d'être une lutte. L'amour est un jeu mais aussi un combat, ainsi qu'en témoigne, par exemple, l'opposition du noir et du blanc, portée à son paroxysme. Cela nous rappelle que Lubistch est d'abord un cinéaste visuel, et ce jusqu'à l'obsession. Il faudrait découper chaque scène pour montrer comment il compose avec les horizontaux, les verticaux, comment il choisit la place des objets, là où porte le centre de gravité de la caméra, etc. Je n'ai, hélas, pas le temps de donner rationnellement preuve de ce qui se perçoit d'instinct. Mais Lubitsch ne laisse rien au hasard. La scène la plus marquante de ce point de vue est le moment où la veuve en a assez de jouer ce rôle et où sa garde-robe passe du noir au blanc et son chien en même temps ! Le comique de la situation ne doit pas masquer quelque résolution plus profonde : montrer comment l'humeur du personnage peut teinter l'univers qu'il habite. Le film est construit en trois longs actes, marqués par la reprise d'une valse, qui les coupe transversalement. On retient souvent des films de Lubitsch les dialogues qui font mouche, mais la Lubitsch Touch se distingue avant tout par des mouvements de caméra et des trouvailles visuelles, toujours malicieuses et justes. Je regrette de ne pas avoir de captures d'écran à ma disposition pour vous faire goûter cet art exquis de la mise en scène dont l'élégance est la moindre des qualités.
Le Comte Danilo est un "lady killer". Entendez par là qu'aucune vertu ne lui résiste ; d'ailleurs, la vertu n'existe pas ou bien elle se nomme à propos. Toutes les femmes sont folles de lui, mais ses multiples attachements ne suscitent aucun drame. Ces relations à double ou triple sens ont déjà été évoquées avec tact dans Design for living. L'amour est libre et joyeux, comme presque toujours chez Lubitsch. Nulle jalousie ou tragédie engendrées par l'amour qui s'effeuille aux quatre vents. Danilo aime pour l'éternité mais l'éternité ne dure, pour lui, que jusqu'au lendemain matin... Jusqu'à ce qu'une dame lui pose des questions auxquelles il n'a plus envie de se dérober. Et c'est le début de la fin du séducteur implacable. Qui ne s'en féliciterait pas ?
Captain Danilo: You're the freshest Fifi I've ever met. 

Sonia: But a nice Fifi.

Captain Danilo: How nice?

Sonia: Not too nice.

Captain Danilo: Your right eye says yes, and your left eye says no. Fifi, you're cockeyed!
 Bande-annonce et extraits ici.

Je me dois également de vous prévenir qu'il existe en zone 2 (DVD allemands) des films muets de Lubitsch assez difficiles à se procurer (sinon en zone1, mais plus cher), pour un prix modique :
Les cartons ne sont pas sous-titrés en français, mais une connaissance limitée en allemand vous permettra de ne rien manquer.
"Le bonheur d'être triste" de Victor Hugo ou la "joy of grief" de Keats, je l'avais déjà expérimenté livresquement, j'y avais consacré des pages, en me délectant entre autres de L'Anatomie de la mélancolie de Burton, mais je ne vais pas à nouveau vous faire part de mon enthousiasme ; il me semble que je vais épuiser nerveusement, si ce n'est physiquement, les quelques lecteurs qui demeurent. Il me manquait pourtant l'essentiel depuis tout ce temps. Honte à moi. Heureusement que je n'ai jamais osé me dire philosophe ! Je suis si inculte et si si vaporeuse quand il s'agit de penser pour de vrai !
Dès que je l'ai vu en rayon, je suis littéralement tombée à la renverse. J'espère avoir occasion de vous en reparler. Sachez simplement, pour ceux qui l'ignoreraient, que c'est un livre majeur, indispensable et incomparable. Ce livre est le genre d'ouvrage qui me rappelle à ma modeste vocation, malgré mes lacunes et mes limites. C'est aussi le genre d'ouvrage qui me crucifie à jamais dans ma détestable médiocrité. Pourtant, au-delà de tout, surnage une volonté d'émulation qui me tonifie.

Cf. mon billet sur Deuil et mélancolie.
D'occasion, je les récupère ici et là ces volumes consacrés à des acteurs ou des cinéastes. J'ai une affection particulière pour ces minces volumes, en général assez pertinents. J'avais oublié à quel point Judy Garland était morte jeune et désespérée.
Je préfère l'oublier à nouveau. ************ Ce billet est le 700e des Roses de décembre. **************

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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