vendredi 15 décembre 2006

Inárritu ne fait pas l’unanimité. Il faudra que je me fasse une raison. Malgré son prix (toutes les récompenses sont en chocolat, je ne vous apprends rien) à Cannes, il me semble méprisé par certains pisse-froid pseudo-intellectuels, qui, à défaut de créer eux-mêmes (c’est une loi que les plus impuissants sont les plus vachards et les plus aigris), s’esquintent à penser qu’ils valent mieux que les miasmes dans lesquels ils barbotent. Ils feraient pitié, s’ils n’étaient pas potentiellement dangereux, ces gueux qui préfèrent juger froid, qui fustigent tout ce que l’argument d’autorité de la postérité n’a pas encore validité, car ils ont peur de se tromper, si peu sûrs qu’ils sont d’avoir un jugement. Il est évident qu’il est toujours plus facile de démolir que de porter aux nues ou de purement aimer. Le sentiment est une faiblesse du point de vue de l’intellect. Il en a toujours été ainsi, car le sentiment est instable, c’est une particule volatile, impossible à conceptualiser et à emprisonner, à moins d’y briser dessus les mâchoires de la raison, c’est un élément dilué dans un corps étranger, un indicible impossible à circonscrire précisément. Pourtant, il en est des nobles et d’autres, des honteux, que l’on fuit comme la maladie ou la mort, et qui donnent dans le mièvre. Comment les reconnaître ? Peut-être à ce qu’ils suscitent en nous, en degré, en quantité, en qualité.
Justement Inárritu ne parle que des sentiments humains, de notre manière de les concevoir, de les transmettre, de les exprimer ou de les refouler. Le cinéaste mexicain s’est toujours placé au cœur de la fonderie humaine, là où la vie prend forme, dévore ou se torture.
Ceux-là, dont je parle plus haut, sont incapables de donner une goutte de leur sang à leurs détestations, à leurs critiques, à leurs petits arguments. Mais ils montent sur leurs grands chevaux, même si ce ne sont que des poneys, pour vous dire à quel point untel ou untel est un minable. L’exigüité est la mère de tous les vices, moraux aussi bien qu’intellectuels. Les gens qui manifestent une étroitesse d’esprit sont en général tout aussi courts et médiocres de cœur. Ils font long feu de leur haine.
Rejeté par certains, le cinéaste l’est, sans aucun doute.
Son dernier film a déplu à certains mais aussi, de manière plus inexplicable (car ils étaient peut-être encore plus surprenants), ses précédents, Amours chiennes et 21 grammes. Ce dernier opus était pourtant un film maîtrisé - malgré une construction peu aisée -, une histoire humaniste, un long-métrage sinueux dans ses déliés mais généreux dans ses pleins. Une belle histoire qui ne suintait pas le pathos facile et les émotions à la petite semaine, mais qui néanmoins donnait un beau champ libre aux sentiments humains, dans ce qu’ils ont de plus tragiquement sublimes, et qui parlait, à sa manière, de la rédemption. N’est-ce pas le plus important que d’être conscient que rien n’est jamais complètement foutu dans la vie ou que l’on peut glisser de l’autre côté de soi-même si l’on n’y prend garde ?
Je conçois mal qu’objectivement, fors le ressenti et les goûts nécessairement subjectifs, on puisse conspuer Babel. C’est pourtant le cas. Je ne citerai pas certain forum de prétendus cinéphiles qui malmènent les œuvres d’artistes qu’ils ne sont pas, en tout état de cause, capables d’égaler pas plus que de les comprendre. La réaction des Cahiers du cinéma à la sortie de ce film m’a peinée. Ils ne sont plus ce qu’ils étaient. Peut-être ne l’ont-ils jamais été et ai-je été aveugle longtemps.
Babel exprime, le fait est évident mais il n’est vain de l’écrire noir sur blanc, l’incommunicabilité entre les êtres, qu’ils parlent ou non le même langage. L’histoire se déroule en trois points du globe : au Maroc, au Mexique et au Japon. Un couple (Cate Blanchett, admirable toujours, et Brad Pitt, dans un rôle qui me le rend aimable, est ici très juste et sensible, presque vieilli par la souffrance) est séparé par le fantôme d’un enfant mort. Ils font un voyage, sans leurs autres deux enfants restés sous la garde d’une mexicaine à San Diego. Or, celle-ci marie son fils au Mexique et, les parents ne revenant pas, elle les emmène avec elle, dans un voyage qui se révélera plus périlleux qu’on aurait pu le penser de prime abord. Gael Garcia Bernal (Cf. mon billet sur La science des rêves) est au volant et le fil de leur histoire dérape. Passer la frontière est ce que font tous les personnages, de manière symbolique ou réelle, et aucun d’entre eux ne reviendra intact. Pas même les enfants, de sages enfants américains de la classe moyenne supérieure, vivant en milieu protégé, qui vont se retrouver face à d’autres de leur âge, que la vue d’une volaille à laquelle on arrache à mains nues le cou ne choque pas. Ils seront, eux aussi, initiés à quelque chose de différent, comme s’ils franchissaient tous une nouvelle étape de leur existence.
L’homme (Brad Pitt) espère, quant à lui, forcer le barrage des mots et pouvoir dire les mots que sa femme attend peut-être. La femme, elle, demeure dans sa réserve, quelque part où personne ne peut plus l’atteindre, au-delà du chagrin. Elle est prisonnière d’un silence qui la claquemure malgré elle, et qu’elle ne peut briser qu’avec des éclats de voix, qui détruisent le dire. Cette souffrance du non-révélé par les mots est presque palpable par l’image, par l’interprétation des acteurs. C’est bouleversant. L’économie des mots, dans le scénario, est aussi très frappante. Cette réserve des personnages et du cinéaste qui les guide est peut-être la beauté cachée du film et le point commun le plus profond qui lie ses deux autres oeuvres.
La balle perdue d’un fusil, mis entre les mains d’un enfant, va atteindre la femme, qui était perdue dans ses pensées. Au milieu de nulle part, loin de tout hôpital, elle se vide de son temps et de son sang. Pendant ce temps, les media et l’ambassade montent l’affaire, estiment qu’il s’agit de terroristes et bloquent l’envoi d’une ambulance locale, au risque de perdre la femme. Ironie et absurdité de notre monde.
Tous ces destins fragmentés dans le temps et dans l’espace, séparés presque arbitrairement, se répondent les uns les autres- comme les pensées d'un être unique qui les porterait en lui - d’une manière plus ou moins flagrante, mais avec une intelligence telle qu'il faudrait une autre vision pour en mesurer la portée.
Au Japon, vit une jeune fille, dont le père a offert en gage d’amitié au père d’un autre enfant, le petit meurtrier malgré lui, le fusil qui va blesser la femme américaine. Est-ce le même fusil avec lequel s’est tuée son épouse ? Que penser d'un monde où une arme peut être un témoignage de fraternité ?
L’impossibilité pour la jeune fille japonaise de dire son manque d’affection n’est pas la conséquence de son handicap (elle est sourde et muette) mais plutôt de l’incapacité de son père à l’entendre, par comparaison avec sa mère, qui l’écoutait. Celle-ci s’est suicidée mais on ne saura pas les raisons. Elle laisse dans son sillage une presque enfant à laquelle se révèle, par le rejet des autres, son handicap. La muette l'est aussi au figuré et elle ne connaît au départ que la provocation pour hurler son dire.
Elle ne porte pas de culotte sous sa très courte jupe. Elle s’exhibe. Elle veut qu’on la baise, simplement parce qu’elle veut se sentir désirée, spoilée de l'amour maternel, amputée de son enfance, face à des adultes qui ne savent pas sa douleur. Elle s’offre, mais personne ne la prend. Jusqu’à cet inspecteur de police, qui, en la repoussant, mais en étant ému plutôt que dégoûté par son attitude, va faire jaillir les larmes qui l’empêchaient de rejoindre son père, sur la terre ferme où le chagrin s’est échoué.
Belle image que cette jeune fille nue dans les bras de son père, qui n'ose la regarder, et qui symbolise une renaissance, dans les bras de celui qui lui a donné vie.
Et nous ?
Percevons-nous toujours derrière le silence que font les mots la souffrance de nos frères ?
Je suis un peu absente. Pas à moi-même, mais à ce JIACO, à ma page sur Carroll et à mon site sur Barrie. Pourtant, je prépare de jolies choses dans mes chaudrons.
Je suis aussi en partance. Dans mon esprit en tout cas.
Noël me kidnappe.
J'habite un arc-en-ciel, en ce moment. C'est très confortable et l'on voit le monde sous un autre angle, à travers d'autres couleurs.
Beaucoup de travaux et de recherches m'éloignent, parfois, non pas de mon ordinateur (tout de même plus efficace qu'une Underwood), mais de mon journal de bord, de mon foutoir et de mon gueuloir virtuels. Je suis moins présente en ce moment, mais je ne lâche pas l'affaire. Et puis de toutes les façons, il existe quelques beaux et bons esprits qui tiennent de meilleurs journaux que le mien. Personne n'est indispensable, ici comme ailleurs. La seule chose précieuse est la foi que l'on possède et l'envie que l'on a de la transmettre. Je ne parle pas de foi religieuse mais d'enthousiasme au sens étymologique du terme. Je suis davantage mue par un daimôn que par un hypothétique Dieu. Si Dieu a le visage et l'esprit de Groucho Marx, comme je le pense parfois, je suis prête à lui rendre hommage, mais son sens de l'humour m'est quelquefois incompréhensible.
J'écrirai donc un peu (beaucoup ?) moins tant que je n'aurai pas trouvé un rythme qui me convienne parfaitement, afin de ne pas oeuvrer sur trop de fronts à la fois.
Je demande à ceux qui me lisent et m'écrivent de ne point s'inquiéter. Toute lettre recevra réponse mais le délai sera un peu étendu.
Prochainement, j'aimerais poster (comme promis) deux billets sur le suicide, un sur la conception du mal par Kant (non, ne fuyez pas !), une chronique sur un livre que l'on m'a envoyé et demandé de "critiquer", et quelques lignes sur Antonin Artaud et Le Moine de Lewis qu'il a réécrit mais dont on peut aussi lire la traduction fidèle de Léon de Wailly, ainsi qu'un petit paragraphe sur Melmoth de Maturin.
J'ai beaucoup tardé à parler de ces deux (trois) romans qui ont forgé la lectrice que je suis. Je suis bien persuadée que ceux qui me lisent fidèlement connaissent, au moins de réputation, ces deux oeuvres incandescentes que je tiens en très haute estime. En attendant, je compte me réfugier dans quelque château plus ou moins imaginaire. Qui sait ce qui appartient en propre à la folie du créateur ou au créateur lui-même ? [Arthur Rackham, illustration pour Le songe d'une nuit d'été de W. Shakespeare]
[Un des châteaux de Louis II de Bavière, Neuschwanstein - voir le billet sensible de Fauna ]

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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