dimanche 18 juin 2006

« Il était une fois une coïncidence qui était partie faire une promenade en compagnie d’un petit accident ; pendant qu’ils se promenaient tous les deux, ils rencontrèrent une explication, une très vieille explication, si vieille qu’elle était toute pliée en deux et ratatinée, et qu’elle ressemblait plutôt à une devinette (…) »

Lewis Carroll, Les aventures de Sylvie et Bruno

Le Dominateur de Diodore :

  • Toute proposition vraie concernant le passé (a) est nécessaire. (b)

  • L’impossible (c) ne suit pas logiquement du possible. (d)
  • Est possible ce qui n’est pas actuellement vrai et le sera jamais. (e)

Trois ordres sont à distinguer : celui de la logique pure, comme structure de pensée à travers des catégories binaires (nécessité, possible, impossible), celui de la connaissance, comme application de cette logique au monde réel (proposition vraie) et celui du langage qui englobe les deux premiers et permet une projection du sujet dans les deux autres ordres.

Le Dominateur de Diodore de Cronos est un problème logique qui semble insoluble et qui a pour enjeu rien moins que de déterminer si oui ou non l’homme est libre de son devenir. Prises séparément ces propositions ne heurtent pas les principes fondamentaux de la logique, comme le principe de contradiction ou le tiers exclu. En revanche, elles ne peuvent subsister que deux à deux.

Le nécessaire, le possible et l’impossible ne semblent pas avoir les mêmes prétentions ou rapport à l’existence, et se soumettre à une hiérarchie. En effet, le nécessaire, par le pouvoir du négatif qui est le sien, détermine le possible et l’impossible. Ces deux-là appartiennent à la fois au monde de la logique et à celui de la fiction, quand le nécessaire n’appartient qu’au cercle de la logique.

La réalité en question ici est celle du temps et de son influence par rapport à nos actes.

On serait tenté d’affirmer que la logique se prend pour Dieu et que la croyance en celle-ci remplace toute tentation de théodicée. Le danger est aussi de prêter au monde des traits et des intentions qu’il n’a pas, c’est l’anthropomorphisme donc qui guette le logicien et qui transforme ce dernier en métaphysicien, en un drôle de tour de passe-passe. Il suffit d’accorder, subrepticement, une portée existentielle aux catégories, aux propositions logiques et surtout à la copule.

Lewis Carroll ou Charles Lutwidge Dodgson qui, en plus du fait d’être un écrivain élégant et talentueux, était d’abord un logicien et un mathématicien sérieux s’interroge sur cette « portée existentielle »[1]. La copule n’est pas une entité vivante. Elle ne proclame pas par elle-même : elle ne fait que signifier et ce rôle est distribué par le logicien, même si ce dernier a tendance à l’oublier. L’affirmation de l’existence d’une proposition dépend de la volonté du logicien et des règles qu’il a préalablement définies dans son univers. Certes, il lui faut néanmoins respecter les principes logiques universellement reconnus, mais rien ne l’oblige à ne pas inventer sa propre logique. En outre, une proposition parfaitement viable logiquement peut ne pas aller sans poser de problème dans la réalité concrète.

Les exemples de Lewis Carroll sont toujours savoureux...

Il existe trois sortes de propositions déjà étudiées par Aristote :

- les propositions particulières (propositions en I), qui ne concernent qu’une partie du sujet, et commencent par le mot « quelques » ;

- les propositions universelles négatives (propositions en E), reconnaissables au mot « aucun » qui les inaugure ;

- les propositions universelles affirmatives (propositions en A), qui concernent le sujet dans sa totalité et exhibent un « tout » audacieux et autoritaire.

Si I et A sont assertifs, qu’en est-il de E ? L’opinion de Lewis Carroll est que nous sommes contraints de supposer que E n’est pas assertif.

Si I n’est pas assertif et que E le soit. Pour lui, toute proposition en A équivaut à une proposition en E, qui est donc par voie de conséquence assertive.

Si E et A sont assertifs, logiquement il semble que I ne l’est pas ; seulement, d’un point de vue pratique, cela ne se peut, du moins pas facilement pour l’homme qui vit simplement. « Une proposition particulière n’affirme nullement l’existence de son sujet. » ; « Ignorez-vous qu’une universelle négative affirme bien l’existence de son sujet ? » … C’est la singularité, vous ou moi en tant qu’être particulier de la totalité « hommes », qui n’existe pas ! Plus paradoxal encore une universelle négative (« nul ») qui affirme l’existence d’un sujet dont elle nie l’existence !

Lewis Carroll lutte contre deux idées reçues des logiciens. La première étant leur propension à attribuer la négation à la copule plutôt qu’au prédicat, à laquelle elle conviendrait mieux, et la revendication de Carroll est un souci de commodité. Il s’insurge également contre l’idée que deux prémisses négatives ne prouvent rien et nous le montre.



[1] Logique sans peine, Ed.Hermann, trad. et présentation de Jean Gattegno et Ernest Coumet , Paris, 1982, pp. 192-201. Ce recueil reprend la première partie de la Logique symbolique de Lewis Carroll ainsi que des textes et des remarques fort instructives qui devaient constituer la deuxième et la troisième partie de sa logique, mais la mort mit fin à ce projet. A noter que ces textes sont présents dans le volume que la Bibliothèque de La Pléiade a attribué à cet auteur. Quelques erreurs se sont glissées dans les exercices de l’édition Hermann… que corrige l’édition de La Pléiade…

Ne pas confondre "prémices" et "prémisses" : 1.Les prémices, avec un c (toujours au pluriel) : les premières manifestations, les débuts de quelque chose - Les prémices de l'automne, d'une crise. 2.Une prémisse, avec deux s : en logique, chacune des deux premières propositions d'un syllogisme ; par extension, proposition ou fait d'où découle une conséquence. Contester les prémisses mêmes d'un raisonnement ; ces négligences ont constitué les prémisses de l'accident. (Larousse)

Quelques notes, jetées à la hâte, qui n'ont pour lien que des associations d'idées. Le possible est une vue de l'esprit qui met en balance à égalité la chance d'être et la chance de ne pas être. Il n’y a pas de prévalence pour l’un ou l’autre des possibles, comme c’est le cas pour le probable où la possibilité positive d’un fait l’emporte sur sa possibilité négative. Mais le possible est-il simplement logique ou réel, l’un et l’autre ? Qu’est-ce qui rend possible un événement : un défaut de connaissance du réel ou bien y a-t-il véritablement un espace non déterminé dans la réalité, quelque chose à inventer, à faire et à vivre, qui ne soit pas d’ores et déjà inscrit en germe dans ce qui est ici et maintenant ? Spinoza réduit le possible au réel. Il n’y a pas de distinction entre les deux, autre que celle créée par l’entendement humain. Réel et possible sont simultanés dans l’entendement de Dieu, c’est notre pensée qui en fait deux moments particuliers d’une seule et unique réalité. Tout ce qui est possible est réel et si quelque chose ne se réalise pas, c’est qu’il s’agit d’un impossible et, pour lui, l’idée d’un possible non réalisé revient à concevoir une limitation en Dieu ; or, Dieu ne peut être limité par sa nature même, qui est infinie. En effet, si l’on considère que tout ce qui existe est en Dieu, tout possible est en Dieu, et comme Dieu tend à exister, chaque possible existe. La pensée de Leibniz quant aux possibles semble plus proche de la manière dont le sujet conçoit le possible, elle est plus anthropomorphique : Dieu choisit. C’est une autre manière d’envisager la puissance de Dieu, son étendue : au lieu de voir dans des possibles non réalisés, un échec pour la volonté de Dieu, voire un gaspillage, on peut y trouver l’indice d’une surabondance divine. Pourquoi l’idée d’un choix – telle que l’attachons presque inconsciemment à l’idée de possible – serait-elle indigne de Dieu, de sa puissance ? Parce qu’un choix est motivé par une raison, une cause et que ceci s’opposerait à la liberté de Dieu ? Pour nous, une chose est possible uniquement parce que rien ne l’oblige à être telle ou telle, ceci ou son contraire ; elle ne dépend de rien, ou plutôt si : elle dépend – et c’est contradictoire - d’une liberté d’indifférence à son endroit. Le possible n’existe pas et pourtant il est indispensable : c’est une respiration du réel. Il s’appuie sur une extrapolation du réel par l’imagination de l’homme qui pense ce réel. C’est une vue de l’esprit si l’on veut, comme on dit familièrement, ou une fiction. La notion de compossibles, chez Leibniz, qui permet de déterminer quels possibles peuvent prétendre à l’existence s’ancre dans un univers déjà créé, qui ressemble à une sorte de Rubicube où les différentes faces du monde doivent coïncider les unes avec les autres de manière harmonieuse. Ce monde de compossibles est déjà achevé par opposition au monde des possibles que peut concevoir l’homme prosaïque, qui est en perpétuelle création. D’autres possibles demeurent possibles mais ne parviennent pas à l’existence en raison de leur degré inférieur de perfection pour l’ensemble. Il est à remarquer que ces possibles non réalisés ne perdent pas pour autant leur caractère de possible, contrairement à ce qui se produit dans la philosophie spinoziste. Dieu n’est pas moins libre parce qu’il choisit les meilleurs possibles, car sa volonté est immédiate à son entendement. Le choix est nécessaire, du point de vue moral, mais cette nécessité morale dépend de sa bonté, lui est inhérente. Aucune nécessité ne lui vient de l’extérieur mais il la tire de sa nature propre. Il faut donc distinguer contrainte (extérieure) et nécessité (intérieure). L’oracle ou la prédiction se présentent comme des nécessités, certes, mais des nécessités conditionnelles ou hypothétiques, qui ne peuvent se réaliser sans le soutien du sujet. C’est le genre de nécessités définies par Leibniz, par opposition à ce qu’il nomme des nécessités absolues, qui relèvent de la connaissance – et non de la volonté - divine. Par « soutien du sujet », il faut comprendre, au minimum, un acte – volontaire ou non – et au maximum, la volonté qui accompagne cet acte. La volonté n’étant considérée comme réellement volontaire que si elle est éclairée par un jugement raisonnable, à savoir la connaissance précise et entière de toutes les fins résultant des moyens (actes) mis en œuvre par le sujet. Bien sûr, une telle connaissance est impossible. Elle ne peut s’exercer que sur des segments de la réalité, non sur l’univers complet, pris temporellement et spatialement, diachroniquement et synchroniquement. Considérons que la volonté est plénière quand la connaissance des fins est parfaite ou pus exactement maximale – c’est-à-dire procédant du ratio le plus élevé entre ce qui est destiné à être connu et les capacités de compréhension de l’homme - sur tel ou tel segment de réalité donné. Quelque chose échappe à l'homme, à chaque pensée, à chaque acte, car il vit et connaît partiellement. Parcellaire est sa pensée. Pour Spinoza, seule la connaissance de la nécessité nous permet de briser les chaînes du destin. « Une affection, à mesure qu’elle nous est mieux connue, tombe de plus en plus sous notre puissance et l’âme en pâtit de moins en moins (...) En tant que l’âme conçoit toutes choses comme nécessaires, elle a sur ses passions une plus grande puissance ; en d’autres termes, elle est moins sujette à pâtir. » ( Ethique, V 3 et 6). Le point de vue stoïcien sur la liberté est le même : la reconnaissance de la nécessité ou de l’ordre de l’univers, que l’on peut appeler connaissance, science ou sagesse, rend libre l’homme qui s’y soumet. Mais de quoi l’homme est-il donc libre ? Il a la liberté de l’agneau devant le boucher. «Moins pâtir » ne veut rien dire de plus que reprendre possession (ou avoir l’illusion d’un tel pouvoir), par la connaissance des mécanismes en jeu, de tout ce que l’homme subit inévitablement : les passions, les souffrances, les maladies, la mort, etc. Le fait de savoir pour Phèdre qu’elle est victime de Vénus la rend-t-elle moins sujette à pâtir de sa faiblesse pour Hippolyte ? Le fait de savoir que la mort fait partie de ma nature d’être éphémère me rend-t-il moins malheureuse ou libre de me soustraire à cette issue ? Non, bien sûr. Pourtant, le fait de ne pas subir idiot semble constituer une once de plus-value… pour la plupart des philosophes rationalistes. On y trouverait presque une consolation à savoir ce qui va nous arriver et comment ça nous arrive, bien qu’on ne puisse rien faire pour éviter que ça arrive. Comment est-ce croyable ? On peut songer que l’homme, par la connaissance qu’il acquiert de sa position et de sa condition au sein d’un ordre, s’identifie en quelque sorte aux forces qui font de lui un jouet ou un pion. La connaissance lui donne l’illusion d’être du côté des causes et non de celui des effets ; il infiltre le rouage de la causalité et se dédouble ainsi, en sujet qui pâtit et en sujet qui agit. Il devient cause de lui-même, en quelque sorte, et l’on appelle ce phénomène sagesse, quand ce n’est qu’un grossier subterfuge de notre amour-propre pour nous préserver de l’humiliation et de la souffrance de n’y pouvoir rien. Hume a très bien compris que la raison ne peut rien contre la passion, de quelque ordre qu’elle soit… L’impossible n’existe-t-il qu’après coup, par contradiction avec ce qui est déjà ? Une chose ou un événement n’est pas impossible ou possible en soi, de toute éternité, ce que laisse entendre le raisonnement spinoziste qui, à l’instar de Diodore de Cronos assimile possible et réel. Le réel n’est pour nous que le passé et le présent, le temps, c’est-à-dire qu’il est le vécu, tout ce qui est relié par la conscience, un monde dans lequel vit le sujet. Du possible, on ne peut exclure la dimension temporelle, qui est celle du futur. On parle de possible au présent en se projetant dans le futur, un futur qui contient de l’indéterminabilité. En effet, ce qui est possible l’est au futur. Or le futur qui ne peut se prévoir, celui qui appartient aux choix de l’homme (sous la condition que ses choix soient imprévisibles… ), ou à un déroulement de causes et d’effets qui échappent à la connaissance scientifique, est ce qu’on appelle le possible avant coup. La théorie des monades leibnizienne propose une vision hermétique du sujet, au sens où une boîte de conserve peut être hermétique. Tout ce qui va lui advenir est contenu dans la monade. C’est son haeccéité. Ainsi, chaque événement a sa raison d’être dans la monade. Ceci ressemble à la théorie du destin de Schopenhauer. Leibniz écrit ceci : « Tout est donc certain et déterminé par avance dans l’homme, comme partout ailleurs, et l’âme humaine est une espèce d’automate spirituel, quoique les actions contingentes en général et les actions libres en particulier ne soient point nécessaires pour cela d’une nécessité absolue, laquelle serait vraiment incompréhensible avec la contingence. » (Théodicée I, 52) Voici qui nous ramène à la liberté par l’acceptation de son destin, ce que nous avons d’ores et déjà qualifié de sophisme ou d’évitement. Le déterminisme de Spinoza est celui des cause ; celui de Leibniz est celui des fins ; deux perspectives inconciliables. Pour le premier, la vérité est l’objet de sa pensée, pour le second il s’agit du meilleur ; pourtant la logique et la morale sont liées plus que ne semble le croire ou le dire Spinoza.

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