jeudi 13 avril 2006
Je parlais d'Harold Lloyd et d'un des films burlesques les plus connus.
Joyeuse surprise en entamant le premier coffret DVD de la série Clair de lune / Moonlighting, que je n'ai jamais vue à l'époque où elle fut difusée à la télévision (ni les récentes rediffusions sur France 3), et de découvrir ce premier clin d'oeil. L'un des ressorts de la série est de glisser quelques références au cinéma et à l'histoire de la télévision et de détourner les schémas habituels de la série, en faisant intrusion dans l'univers du spectateur, en s'adressant à lui, etc. La relation entre les deux héros est savoureuse et, même si l'on se doute dès le départ, qu'ils sont destinés à partager plus qu'un travail, un jour ou l'autre, l'attention ne faiblit pas et n'est pas seulement embarrassée par la question de savoir quand ils "le" feront. Les histoires sont proprement torchées et l'humour en première ligne. Classique et délirante. Un excellent substitut au café, en ce qui me concerne.

De deux choses l'une : ou Michel Tournier est le plus adorable des hommes, celui qui use de la politesse la plus raffinée par souci de prévenance envers autrui, et il traite avec égard la lectrice un peu folle que je suis ; ou bien il éprouve une certaine sympathie envers Holly. Car, en effet, il a répondu, à nouveau, à ma réponse, en me faisant parvenir une photo, avec une lettre au dos et un petit fascicule écrit par une "consoeur" universitaire pour reprendre ses termes. Je vais m'empresser de lire tout cela. Je suis aux anges. Même s'il ne me répond que par pitié. En effet, ma lettre était réellement débridée. Et je n'ai rien à lui apporter. Certains auteurs répondent à leurs lecteurs. D'autres jamais. Et cela n'est pas en rapport avec leur célébrité. La proportion est même souvent inverse.

« La vie affective » pour Freud signifie passivité : celle de l’émotion, du sentiment, de la pensée, du sensible, tout ce qui appartient au principe de plaisir. Opposer cette vie à fleur de peau au travail intellectuel revient à mettre face à face la matière et l’outil. Le jeu théâtral est un catalyseur qui va permettre au sujet de laisser remonter à la surface des eaux de sa conscience ce qui est enfoui. Le jeu auquel nous prenons goût adulte n’est pas de nature différente de celui auquel l’enfant prend plaisir. Dans un cas comme dans l’autre, il a une fonction compensatrice qui passe par une fiction. Nous nous mettons à la place de…, nous imitons ce que nous ne sommes pas, en ayant les avantages de ce qui est imité sans les inconvénients. Il y a un intéressant dédoublement de personnalité à l’œuvre dans le jeu. Cette identification qui a pour cause selon Freud l’exiguïté d’une vie ordinaire, terne, plate où rien d’exceptionnel ne vient briser le rythme ordinaire des vies sans intérêt, compense la vexation que ressent l’homme du commun à n’être rien de plus ou de mieux. Cette humiliation rejoint les trois vexations majeures subies par l’homme qui portent trois noms : Copernic, Darwin et Freud. L’homme aimerait être la nécessité – à savoir être un acteur au sens strict de celui qui agit, au sens où David Copperfield s’écrie : «Serai-je le héros de ma propre histoire, ou ce rôle sera-t-il tenu par un autre ? Ces pages l'apprendront au lecteur. Pour commencer par le commencement, je note que je naquis un vendredi à minuit - du moins me l'a-t-on dit, et je n'ai aucune raison d'en douter (...)» - et non la subir. Qui pourrait donc prendre la place de David Copperfield dans son histoire (et non sa vie) ? Qui, sinon l’auteur lui-même de l’histoire ou quelqu’un d’autre, appartenant à son existence (et non à son histoire) ? Nous n’avons donc comme choix que la fiction, du côté créateur ou du côté spectateur / lecteur. Le cas de l’acteur, l’intermédiaire entre le spectateur et sa représentation, n’est pas étudié. On pourrait presque ajouter qu’il ne l’est jamais ou très rarement, comme si sa fonction était accessoire, comme si le seul intérêt résidait dans le ressenti du spectateur qui se prend au jeu du personnage. Dans la fiction, le spectateur / lecteur (et plus encore le spectateur qui vit dans sa chair, par les yeux et l’ouïe, alors que la lecture demeure un phénomène intérieur) a le droit d’échouer, mais la jouissance n’en sera que plus forte si l’échec est grandiose. A contrario, on imagine mal un processus d’identification comparable avec des anti-héros tels que Don Quichotte ou le protagoniste principal d’un film tel que The Party de Blake Edwards interprété par le gaffeur Peter Sellers. De même, les personnages incarnés par un Charley Chase ou un Harold Llyod par exemple. Le burlesque, le ridicule, la peau de banane (même si elle est anti-déparante comme celle de Charley Bowers*)

ne sont pas dignes de nos envies d’identification. Il en va de même pour les salauds absolus – certains personnages des films noirs par exemple, comme celui qui est joué par Richard Widmark dans Kiss of death de Henry Hathaway ou la monstrueuse sœur (Bette Davis) de Joan Fontaine dans le chef-d’œuvre de Robert Aldrich, What ever happened to baby Jane ?

Les limites de l’identification nous en apprennent beaucoup sur ce que nous recherchons dans le fait de se projeter dans la vie, actes, pensées et ressentis d’un personnage, d’un être virtuel, ni tout à fait vrai ni tout à fait faux. Pourtant des personnages plutôt négatifs comme le Richard III de Shakespeare ou même le Roi Lear nous attirent, malgré leur noirceur. Ou leur « manque d’intelligence », et qui n’est pas un peu familier ou complices avec les personnages de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton, lorsque leur aspect lunaire recouvre leur maladresse burlesque ? Le partage entre ce qui produit ou non en nous l’émotion fictionnelle n’est pas si aisé qu’il n’y paraît ou que semble l’affirmer Freud dans cet essai auquel je fais implicitement référence. Une de ces limites pour Freud est la dégradation corporelle. La souffrance peut être morale ou psychologique mais pas seulement ou trop physique. La limite de l’identification est posée.

* Restauration et édition en dvd par la société Lobster.
Seuls un grand malheur ou un grand bonheur créent une interrogation valable sur le sens de la vie pour l’homme. Il est très remarquable de constater que le suicide est considéré à notre époque si moderne comme une maladie. Le suicide est recensé comme une maladie par l’O.M.S., comme un mal qui doit être combattu par la prévention. Le suicide que les anciens considéraient comme un acte libre se métamorphose donc en un acte non libre, fruit d’une pathologie. Admettons, mais nous demandons des preuves que personne ne saurait apporter. Nous ne nions pas qu’il existe des suicides qui sont consécutifs d’une certaine constitution psychologique que l’on peut qualifier de défaillante et qui peuvent être évités avec un traitement médicamenteux ou psychothérapique. Certes, mais il existe vraisemblablement des suicides qui ne sont pas provoqués par une faille dans la psyché. La vie n’est en rien pour l’homme une obligation, une nécessité, ni sur le plan physique, métaphysique ou moral. Dès qu’il est question de ses devoirs envers lui-même ou la société, il y a toujours un idéal qui édicte le simple fait de vivre en droit ou en devoir. Il y a quelque chose de tout à fait absurde à vouloir faire du suicide un mal à éviter. De même qu’il est tout aussi absurde et contradictoire de vouloir légiférer sur l’euthanasie - l’avortement étant encore un autre problème, insoluble celui-ci, car on est en prise avec le non-être. On ne peut pas parler de droit à mourir dans la dignité (pour les vieux et les légumineux !) d’un côté et de prévention du suicide (sous-entendu du suicide des personnes valides, avec une espérance de vie assez longue) de l’autre. La valeur de la vie serait-elle finalement le prix qu’on lui donne à l’aune des capacités que l’homme a de jouir et, plus cyniquement, de produire, d’être utile à la société ? N’y a-t-il pas non plus une absurdité qui confine au délire de juger du droit à ne pas naître, comme ce fut le cas pour cet handicapé dont les parents saisissaient la justice parce qu’il n’était pas normalement constitué, affirmant sans l’ombre d’un doute ou d’un scrupule qu’il eût préféré ne pas naître dans ses conditions ! La société est hypocrite et elle ne peut l’être que parce que la raison n’est pas raisonnable … ou parce qu'elle l'est trop ? Ce qui revient, in fine, au même.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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