lundi 20 mars 2006
Mon directeur de thèse bien-aimé me recommande la lecture de cet ouvrage. Je me suis empressée de l'acheter car il est l'un des rares prescripteurs, en ce bas monde, de mes lectures. Je le connais depuis longtemps et je lui dois de sublimes découvertes : Tom Jones et Tristram Shandy par exemple. Il a simplement échoué à me faire aimer la littérature allemande et Proust. Les lire, les admirer, oui ; les aimer, je ne le puis. Justement, il est question dans ce livre d'amour, la chose la plus intéressante au monde.

L'amour est d'abord un sentiment, une passion ou un désir avant que d'être un acte ; on est d'abord amoureux avant d'aimer, patient avant d'entrer en scène et d'être acteur. Coup de foudre paralysant en statue de sel ou subtile insinuation qui prend possession progressivement de l'être, mal grandissant dans le sein de l'homme ou de la femme, qui ne se laisse sentir que bien trop tard. Impossible d'éviter le coup. L'amour aime faire ses coups en douce, en traître.

"C'est le sort de tous les actes profonds que de ne devenir perceptibles que lorsque ceux-ci sont depuis longtemps engagés. Il en va ainsi des actes de l'amour comme de la composition d'une œuvre quelconque, qu'il s'agisse de l'herbe ou d'un livre, et de toutes choses qui ne commencent jamais, ou plutôt dont on ne pourra jamais dire quand ni comment elles ont commencé." (Clément Rosset, Le réel, Traité de l'idiotie, éd. Minuit, 1977, p. 130.)

Les amoureux sont étonnamment étourdis et oublieux d'eux-mêmes, dans les premiers temps… L'amour, à ses débuts, a quelque chose d'involontaire et d'inconscient ; il est gauche et imprudent. L'amour prend corps et se cheville en nous avant de se faire remarquer à la conscience, comme s'il voulait prendre de cours, de crainte que nous ne soyons tentés de l'esquiver. On se prend soudain à aimer un être, sans pouvoir expliquer les effets de cette machine souterraine qui a mis en branle notre cœur, notre âme et notre esprit. L'amour trouble et bouleverse. On ne sait pas pourquoi on s'est mis à aimer, et toutes les raisons ne viennent qu'après coup, et l'on ne s'entête pas trop à en chercher les causes, comme si l'amour lui-même suffisait à répondre à lui-même. Le second mouvement de l'amoureux qui se reconnaît, étonné, dans un sentiment jusqu'à présent ignoré de lui, est un mouvement vers l'objet de ce sentiment, un mouvement qui a envie de rendre ce qu'il a reçu, comme un gifle ou un baiser à qui manque son jumeau : l'amoureux se sent heureux, alors il veut faire plaisir, manifester des attentions qui ont pour but la satisfaction de celle ou celui à qui elles s'adressent. Un échange de bons procédés s'instaurent entre les deux amoureux qui deviennent amants, acteurs, et non plus simplement contemplateurs et spectateurs de quelque chose qui s'impose à eux et leur échappe. Une tension, un jeu de yo-yo s'établit entre les amoureux qui cherchent à se plaire et à se faire plaisir, pour se faire aimer ou pour continuer à l'être, à moins que ce soit simplement parce qu'ils aiment. L'amour s'exprime dans la volonté de donner quelque chose à autrui. Pourquoi ? Parce que le don fait plaisir à soi ou parce que l'on veut récompenser autrui de son amour et justifier son choix, ou pour son bien, indépendamment du sien propre ? Toutes les réponses sont possibles, cela dépend de l'espèce de l'amour qui est mis en jeu dans une relation humaine : amour de bienveillance ou amour de concupiscence, simple affection, noble amitié ou furieuse dévotion … Quoi qu'il en soit, si l'on écoute Descartes, le genre de l'amour est unique, même s'il diffère dans ses effets, il est un dans son essence. On "s'unit de volonté à un autre" : on se met à former un tout, dont on n'est qu'une partie : la plus importante ou la moindre, ou simplement une moitié de valeur équivalente. Or, l'amour est comparable à un élastique, il permet toutes les déformations et est susceptible de se rompre, à tout instant, dans un claquement, un bruit sec qui annonce la gifle ou le sifflement de la blessure. A chaque bout de l'élastique, moi et autrui, deux identités et deux altérités qui s'attirent et se repoussent : image bien pratique qui a pour vertu principale de suggérer la distance variable qui sépare et unit les aimés, selon que le bout de caoutchouc est plus ou moins tendu. Lorsqu'il n'y a pas ou plus de tension, l'élastique se recroqueville et se roule en boule, il perd sa figure et son utilité, comme les amants devenus couple… Cette tension de l'élastique symbolise la tension qui existe chez les amants entre leur désir de fusion et leur tendance à s'enfermer dans leur identité, entre l'envie de donner et les incapacités de l'égoïsme (la tentation de l'économie ou de l'avarice).

Plus troublante que cette anecdotique différence évoquée précédement, la conjugaison du verbe "résoudre". Il possède deux participes passés : "résolu", qui est la forme ordinaire, et "résous" qui s'attache au langage de la chimie ou à celui de la conversion. Exemple : "Le brouillard s'est résous en pluie."Au féminin, Littré préconise "résoute". Amusant, n'est-ce pas ? Il y a un inconvénient, parfois, à trop bien connaître les difficultés de la langue. Certaines erreurs appartiennent tellement au sens commun que les rectifier vous fait passer pour quelqu'un d'ignorant. Le revers de la médaille en somme.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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