jeudi 23 février 2006
Il y a presque cinq mois que je me prête à cet exercice quasi quotidien et, parfois pluriquotidien. J'ai écrit 347 billets, celui-ci compris. Je suis effarée. Mes doigts souffrent d'impatience(s) et jouent leur partition sur le clavier avec acharnement. Comment est-ce que je trouve le temps de lire et d'écrire, de travailler personnellement, mais surtout de vivre, me demande-t-on parfois ? Je ne sais pas. Je crois que je vole du temps au temps et je m'en porte, ma foi, plutôt pas mal. Merci à ceux et celles qui me lisent. A bientôt !

En zone 1 : Indiscutablement, deux sorties à ne pas manquer : le beau film de Minnelli consacré à la vie de Van Gogh. Un film puissant et majestueux. Puis le chef-d'oeuvre de David Lean. Qui peut rester insensible à la beauté de ce triste film ? Lean m'avait déjà arraché le coeur avec Brève rencontre. Que me reste-t-il à perdre devant La fille de Ryan, emportée presque malgré elle par un amour plus rêvé que réel ?
En zone 2 :

La saison 4 de mon adoré Lieutenant (Frank) Columbo avec, en guise de bonus, le pilote de la série Madame Columbo (qui n'exista que pendant treize petits épisodes!) ... Il ne faut pas montrer ce qui est caché ! Kieslowski est un grand cinéaste et ces éditions feront plaisir à bon nombre de cinéphiles :

Ce DVD en particulier fut attendu pendant très longtemps :

De quoi me faire perdre la notion du temps car, devant un grand film, on palpite à travers mille vies. Le temps et l'espace se dédoublent.

La mère Bébert était aussi longue que large, et peut-être plus large que longue. Le premier mot, étrangement,  qui me vient à l’esprit est « sandwich ». La mère Bébert était continuellement entortillée dans des morceaux de chiffons à la propreté douteuse. Cette femme était un morceau de barbaque enroulée dans des feuilles de tissu badigeonnées de sauces, de crème et de graisses. Un petit visage bedonnant et strié de couperose était greffé sur un corps enflé comme un œdème. Ses chairs avaient l’aspect de viandes trempées pendant des mois dans un bain de saumure. Ce  coloquinte perché sur une citrouille géante arpentait les rues de C. et hantait l’unique hall de la gare déserte dans l’espoir affiché d’y récupérer des trésors égarés dans les poubelles. Ses yeux, d’une couleur incertaine, étaient pochés dans les vins cuits et l’alcool à brûler. Ses lèvres étaient aussi obscènes qu’un prolapsus ; elles faisaient en tout cas fortement penser à un anus déroulé. Ses chicots, véritable garde-manger, réservaient, pour vous allécher, des odeurs de fromages, de rillettes, et de plats aillés.  Son nez, éclaté comme un ballon de foire, était constellé de cicatrices. Ses cheveux noués n’importe comment avec un bout de ficelle ou de laine étaient trop sales pour être gras : ils étaient cuits.  Son cuir chevelu était parsemé de croûtes de pain, de pellicules ou autres denrées rares de ce type. Ses jambes, énormes jambon de pays dépassaient l’entendement, tant par les proportions que par la couleur. Ses gigantesques pieds s’écrasaient dans des baskets trouées et rapiécées avec de larges morceaux de papier adhésif grisâtre.  Son vocabulaire se limitait à quatre cents mots – Racine a bien écrit son œuvre avec cinq cents mots … Mais elle avait l’intelligence des simples d’esprit : la ruse. Elle récupérait les détritus, tous les détritus, y compris ceux qui habitaient l’hôtel ; ceux-là,  elle ne les recyclait pas pour son usage personnel, mais elle les cajolait et,  eux, en échange de leur pension, finissaient leur vie dans son lit. Elle les réchauffait. Une fin plus digne que celle proposée par les hospices. Le bon côté de la mère Bébert, tout le monde en a un, même si pour le trouver il faut parfois regarder de biais.
Son logement était – d’après les reconstitutions qui ont été faites par le journal local –un entrepôt abritant de piles de vieilleries sans valeur, récupérées dans les poubelles de la ville. Imaginez une benne à ordures renversée dans vingt mètres carrés et vous aurez une petite idée de son intérieur. La pauvre femme vivait à l’hôtel Henrouille depuis des lustres, bien avant que Mimie ne reprît la direction, du temps où Dame Henrouille tenait encore les rênes, dressée sur ses deux pilons. Et ce n’était pas le genre d’hôtel où l’on venait faire le ménage ou le lit... Pourtant, un jour, il y eut une inspection de l’hôtel et un fonctionnaire décréta que la piaule de la mère Bébert portait atteinte aux normes de l’hygiène et à la sécurité de l’établissement. En clair, elle avait une semaine pour se défaire du fruit de dix ans de tribulations.  
Tout est relatif.
Un détritus n’a pas la même odeur, la même couleur, la même consistance et la même définition à l’hôtel Henrouille et dans un ministère. Un trésor, non plus.  Mais un souvenir ou une amitié ont partout la même valeur.
La mère Bébert s’est exécutée. Mais pas de la façon qu’on s’y attendait.  Elle a mis le feu à sa vie  et s’est assise au milieu de ses effets. Elle est morte carbonisée.
Quinze jours après, l’hôtel faisait encore les frais d’une publicité dont il se serait bien passé. Il s’agissait cette fois d’une adorable personne qui habitait un appartement dans l’autre aile de l’hôtel – car Les Henrouille louaient aussi des meublés -, une américaine naturalisée,  Mrs Smith. Le journal local a publié cet article d’une sobriété exemplaire :


Elle vivait parmi les cadavres de ses animaux

Une vieille dame de 77 ans a été confiée à ses proches, après la découverte d'une trentaine de cadavres de chiens, de chats et d’oiseaux – dont un corbeau empaillé avec lequel visiblement elle dormait -  qu'elle conservait dans sa chambre de l’hôtel Henrouille à C., depuis plus de dix ans.  Jeudi dernier, des inspecteurs chargés en urgence par la municipalité de contrôler les lieux, un véritable taudis où vivaient une vingtaine de chiens et chats, parmi des excréments et des immondices, ont découvert des sacs, cartons et boîtes à chaussures contenant les cadavres de ses anciens animaux de compagnie. La septuagénaire, qui vivait seule et ne sortait que le matin pour faire ses courses, dormait sur un petit canapé au milieu des immondices et des animaux.
Ce sont ses voisins, se plaignant depuis longtemps des odeurs nauséabondes émanant de l’hôtel, qui avaient alerté les autorités.  Quelques chiens ont été recueillis par des bénévoles, mais cinq autres ont dû être euthanasiés, de même que huit chats.

Tout est relatif. Surtout si l’on considère que la pauvre hère est morte  - de chagrin, on ne perd pas sa famille impunément, et même si les membres sont de poils – une maison de retraite où l’on fouaille les vieux lorsqu’il mouillent leurs couches, où on les laisse crever de faim et où, enfin,  on leur ôte leur bien le plus précieux, la liberté et la considération d’eux-mêmes. Vivons-nous donc maintenant dans une société telle qu’il faille mourir selon les règles décrétées par « Ceux-qui-savent » ? N’a-t-on pas le droit d’être vieux, de puer un peu et de choisir sa tombe, qu’elle soit de dentelles ou un lit d’ordures ? N’importe, « Ceux-qui-ont-décidé » ont eu tort.  
Après ces incidents, l’hôtel a fermé ses portes, pour longtemps.  Pour toujours, jusqu’à preuve du contraire.
Freud citait volontiers Heine :
"Avec ses bonnets de nuit et les loques de sa robe de chambre le philosophe bouche les trous de l'édifice du monde".
Que penser de ces assertions péremptoires (pas tant que cela dans le fond...) ? On voit ce que peut dire le psychanalyste au philosophe à propos d'un mécanisme de défense du moi - comme par exemple l'invocation des mécanismes de défense spécifiques du Moi que sont la généralisation ou la sublimation, auxquels participe la pensée philosophique. Mais la philosophie aurait-elle ce seul privilège ? L'art n'accomplit-il pas un prodige identique ?

Le philosophe est un enfant : il essaie de se consoler et d'étendre ce bienfait personnel à l'univers entier.

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Retrouvez une nouvelle floraison des Roses de décembre ici-même.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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