vendredi 10 février 2006
Scène classique d’un polar : un tueur à gage arrête un homme et lui demande s’il se nomme x. L’homme répond par l’affirmative et reçoit aussitôt trois pruneaux, qui lui laissent un rictus malséant sur son visage chiffonné. Il lui eût suffi de se méfier et de répondre « non » pour être vivant lors de la séquence suivante. Autre tableau : une femme, dans le métro, arbore une énorme bague de fiançailles en diamant ; un homme, l’air honnête, s’assit près d’elle, engage la conversation et lui fait remarquer qu’elle ferait mieux de celer au regard un tel bijou, car le métro n’est pas un lieu sûr pour exhiber de pareilles tentations. Au lieu de répondre en s’esclaffant : « Qu’importe, c’est une fausse : on peut bien me la dérober ! », elle manifeste une inquiétude soudaine et remercie du conseil. Sur quoi, l’homme, lui arrache la bague et profite d’un arrêt de la rame pour s’enfuir. Qui n’a jamais en regardant un film ou en lisant une histoire où des personnages sont tués ou blessés, ou simplement malmenés, par la conséquence directe d’un acte ou d’une absence d’acte, eut le sentiment que leur destin eût pu être évité ou changé très facilement ? Parfois, il peut arriver que l’on se plaise à s’imaginer, en frissonnant un peu, à leur place, forts de ce qu’ils ignoraient lorsqu’ils ont rencontré leur destin, adoptant l’attitude qui lui eût permis d’éviter ce qui leur fut irrémédiablement fatal. Le bien-être ressenti est du même type que celui que l’on éprouve, blotti au fond d’un lit douillet et chaud, lorsque l’on entend la pluie qui fait battre les arbres dehors ou les pas de quelques malheureux qui courent sous la pluie. On se plaît à imaginer uninstant que l’on est dehors tout en s’enfonçant un peu plus sous l’édredon ventru. On pense ou on imagine sous le mode bienveillant du conditionnel passé. Pourtant, rien ne vient faire taire cette voix dérangeante qui affirme qu’à leur place, nous nous aurions été aussi dupes ou morts qu’eux. Mais la voix n’étouffe pas l’illusion rétrospective de notre pouvoir sur les événements, qui ne tient cependant qu’à un irréel du passé ou du présent.
Ceux qui me lisent savent que la Sphinx (je tiens au féminin, je le rappelle) m'est familière. Emerson, peu traduit en français, était un philosophe et un écrivain de talent. Il était très attaché au poème qu'il composa en hommage à cette créature pluriforme.
Emerson considérait que ce poème était peut-être son meilleur et il l'avait placé au début de son recueil de poèmes. Il écrivait ceci : "J’ai souvent été interrogé sur le sens de La Sphinx. La perception de l’identité unit toutes choses et elles s’expliquent les unes par les autres, réciproquement, et ce qui est le plus curieux et rare est aussi facile que le plus commun. Mais si l’esprit vit uniquement dans les choses particulières, et voit seulement les différences (voulant le pouvoir de voir le tout en chaque chose), alors le monde adresse à l’esprit une question à laquelle il ne peut répondre, et chaque nouveau fait le déchire en petits morceaux, et il est vaincu par la variété qui l’empêche de se concentrer. " (Œuvres complètes, IX, 412) Emerson se soumet à la Sphinx dans la nature. Dans Histoire, il écrit : "L’esprit humain écrit l’histoire, et celui-ci doit la lire. La Sphinx doit résoudre sa propre énigme. Si l’histoire tout entière est contenue en un seul homme, cela signifie que le tout est expliqué à partir d’une expérience individuelle." L’énigme maîtresse est de savoir si La Sphinx veut signifier que le poète a ou n’a pas rencontré la condition qui lui permettrait de "raconter un de mes sens ."

Traduction de l'ensemble par mes soins.

"C’est que le paranoïaque, il faut s’en convaincre malgré les apparences d’une logique vraisemblable, vit dans un autre monde, ou plutôt à cheval sur deux mondes qui lui semblent aussi réels l’un que l’autre. Il n’y a pas de silence psychique quand il semble adhérer à tel ou tel raisonnement [qui le contre]. Il y a compétition, inaudible, indicible entre une logique et une autre. Ce n’est pas le parasitage de la pensée normale, avec lequel il faudrait seulement composer ; c’est une machine en mouvement, un moulin qui moud sa propre poudre, plus vite ; plus fort, plus loin que l’autre machine. Là, il rentre une qualité d’émotionnel, d’affectif, d’écorchures, de vérifications en apparence infinitésimales qui sont les munitions alimentant des missiles psychiques, lesquels vont tout submerger, ne concédant que ce qui n’est pas indispensable à cet autre vécu qui est autrement, qui est ailleurs." Claude Olievenstein, L’homme parano, Ed. Odile Jacob, Coll. Poches, Paris, 2002, pp.16-17.

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