jeudi 19 janvier 2006

J'adore Lubitsch, qui est l'un des cinq plus grands cinéastes de tous les temps. Sérénade à trois (Design for Living) n'est peut-être pas mon film préféré mais, assurément, il est brillant et pose astucieusement la question de l'amour à trois, sans jamais sombrer dans la vulgarité ou le trivial. La situation est présentée, somme toute, comme ordinaire ; et ni Lubitsch ni Coward ne se laissent prendre au piège des explications ou des justificatifs. Nous sommes dans une tonalité légère et nous ne sombrerons jamais dans le grave. L'amour est primesautier, bien qu'essentiel. A aucun moment, il ne me viendrait à l'idée de mal juger l'un des trois protagonistes. Ils sont si déroutants de sincérité et si désarmants de finesse. Ils jouent, tour à tour, et aucun ne perd.
Le sujet : " Dans le train qui les conduit à Paris, un auteur dramatique en quête de succès (Frederic March) et un artiste peintre (Gary Cooper), deux amis, tombent amoureux d'une dessinatrice de publicité. Peu après leur arrivée dans la capitale, les trois jeunes gens décident d'habiter ensemble, selon un pacte, un "gentleman's agreement" : aucun des deux hommes ne devra coucher (disons-le clairement !) avec la jeune femme. Or, on s'en doute : aucun des deux ne tiendra cette chaste promesse. Pourquoi devrait-on parler de culpabilité ou de moralité face à une situation qui paraît, dans ce film, si saine ? Ceci nous amènerait à faire remonter à la surface les idées de Nietzsche (si souvent mal interprétées) quant à la morale : "Définition de la morale : la morale — l’idiosyncrasie de décadents, avec l’intention cachée de se venger de la vie — et cela, avec succès."

F. Nietzsche, Ecce Homo (1888), IV, paragraphe 7, trad. Éric Blondel, GF-Flammarion, 1992. (Eric Blondel, un excellent professeur de philosophie... ).

Cette comédie pétillante traite donc avec humour, fantaisie et virtuosité des péripéties sentimentales d'un "trio amoureux." Lubitsch sait se montrer osé sans consentir à nous choquer. Un réel tour de force ! La véritable provocation est peut-être celle-ci : penser autrement - mais ceci nécessite une force d'âme que peu de gens possèdent, car il faut s'exercer à trouver son propre regard sur le monde... Ce pourrait être un drame, une tragédie, et c'est une comédie. A les voir tous les trois, il est facile de se dire qu'on peut aimer double et que ce que l'on donne à l'un ne vole rien à l'autre. La société impose des conventions dont il est difficile d'évaluer le bien fondé, d'un point de vue plus existentiel ou viscéral. Et c'est une fervente émule de Tristan et Iseult qui écrit ces lignes !


Gilda Farrell : It's true we had a gentleman's agreement, but unfortunately, I am no gentleman.

« SI TU DESIRES L’UNE DES CHOSES QUI NE DEPENDENT PAS DE NOUS, IL EST IMPOSSIBLE QUE TU SOIS HEUREUX. »

Maxime première de laquelle tout le reste découle, dont on peut inverser la polarité, sous cette forme : «Le malheur est inévitable pour celui qui désire [positivement ou négativement une chose ] ce qui ne dépend pas de lui. » Or, rien ne dépend de lui, sinon sa représentation et l’assentiment qu’il donne aux événements qui échappent à sa volonté. Tôt ou tard, Epictète finit par avoir raison, puisque l’homme est limité, puisque rien n’est pour lui éternel, et rien de ce qui lui est autre n’est en son pouvoir. Ce qui est autre est le monde extérieur dans sa globalité, son corps inclus. Il ny a donc que son for intérieur qui soit à lui, ses idées, ses sentiments, en somme sa vision du monde.

Epictète présuppose à la fois, et contradictoirement, que le malheur est inévitable et à éviter. Inévitable du point de vue des faits réels (la mort, la souffrance, la perte des êtres aimés, les déceptions ordinaires de l’existence, etc.). Evitable du point de vue de la pensée : n’est un malheur un événement que si je le veux bien, n’est malheur que ce que je comprends mal (c’est un événement neutre, un événement justifié par le logos, qui a sa place au sein du cosmos ; dans un tel système, le mal n’existe pas). Il y a vis à vis de la souffrance une ambiguïté : la souffrance est acceptable à condition de l’éviter, et le seul moyen d’y échapper est de l’intellectualiser, de la réduire à une représentation ou de la traduire en un autre langage, celui de la raison et non plus celui de la sensibilité.

Le postulat des Entretiens ou du Manuel est le suivant : le malheur est à éviter. Rien à redire sur ce point pour le sens commun. Mais la souffrance est-elle, réellement, inacceptable ? De quel point de vue :

- Est-elle nuisible à l’homme ? Il y a des souffrances qui rendent sages, forts, qui illuminent l’existence ces hommes, qui donnent un sens à leur vie.

- Est-elle laide ? L’art – la tragédie - se nourrit de la mort et des douleurs des héros (la mort héroïque, par exemple) ; elle apparaît comme parée de toutes sortes de beautés, voire du sublime.

- Est-elle immorale ? Tout dépend si l’on parle de la souffrance que l’on inflige (qui sans conteste est souvent ou toujours immorale) ou de celle que l’on reçoit (l’ascétisme, la rédemption par la peine : Cf. Gorgias, etc. Attitudes qui se réclament de la morale), et qui est plus ambiguë.

- Est-elle fausse ? Epictète l’aborde par ce biais, et c’est très révélateur, excessivement troublant et intéressant.

Cavalièrement, la pensée d’Epictète se résume à une drôle de suggestion : vivre en soi-même, se réfugier dans une pensée rigoureuse, et composer selon le thème attribué à chacun de nous par la destinée. La vie est un jeu (théâtral), un exercice, une épreuve, une occasion de sagesse. Le jeu et l’exercice sont des comportements qui comportent une distance entre le sujet et son acte.

Pour Hegel, il y a intériorisation de la relation domination –servitude, que nous appellerons pour notre part nécessité : le maître est en soi et non plus à l’extérieur. L’auteur de la Phénoménologie de l’esprit parle d’«impassibilité sans vie, qui hors du mouvement de l’être-là, de l’agir comme du pâtir, se retire toujours dans la simple essentialité de la pensée. »Le stoïcisme est selon lui une pensée pure, une vérité sans contenu, où la liberté est fondée sur la seule pensée. Le stoïcisme est fondé sur une tautologie (une «réflexion doublée», écrit Hegel).

Mes nuits sont blanches, mais mes rêves sont gris. Non, je ne prétends pas que mes rêves soient en noir et blanc comme les films des années cinquante, ce serait trop beau. Ils ont plutôt l’aspect d’un blanc sale et triste, celui du linge trop lavé et qui s’est frotté par mégarde à des fibres de couleur et en garde des traces. Autrefois, je rêvais en technicolor. Je suppose que c’est ma punition, et que dans mes rêves je contemple mon âme déchue, monochrome. Certes, je poétise la situation, mais ça revient au même : je suis coincée. Je suppose également que personne ne me soupçonne d’avoir commis un tel crime, parce que je suis dans leur esprit quelqu’un de fade, à qui il ne viendrait pas l’idée de mal agir, n’ayant pas assez d’imagination ni de volonté. La description n’est pas fausse : je suis indifférente. Mais peut-être moins indifférente que fuyante ou endormie. Pourtant, on peut mal agir sans ouvrir la bouche ni lever le petit doigt. La passivité n’est pas toujours synonyme d’innocence. Au contraire. Elle est parfois le lit de la perversité. J’aime que les situations pourrissent d’elles-mêmes. J’aime l’idée que personne ne sache de quoi je suis capable. En contrepartie, je ne dors plus.

Je ne suis pas honnête : quelqu’un sait et c’est la raison pour laquelle je ne ferme plus l’œil. Je me dis souvent que s’il a deviné, cela signifie qu’il ne vaut pas mieux que moi. Celui qui pense au mal a déjà eu envie de le commettre, bien qu’il n’ait pas la plupart du temps le courage de le reconnaître. Chaque nuit, depuis un an, je refais le même rêve et pourtant je ne dors pas. Je n’ose pas. Je pourrais me trahir. Je m’accorde quelques heures, quand personne ne me veille, je reviens vite à ce monde avant qu’il ne soit trop tard. Un mécanisme bizarre se déclenche en moi quand il grimpe les premières marches, avant qu’il n’ouvre la porte, qui n’est jamais fermée à clef. C’est un jeu de patience. Il ne m’aura pas. Pas ainsi, en tout cas. Qu’y a-t-il derrière la porte ? Il suffirait d’ouvrir, mais je ne le peux. Bien sûr, je peux le faire physiquement, matériellement, mais cela reviendrait à abandonner ma stratégie de repli : ne pas bouger et ne pas parler. Donc, je ne peux pas. Quelle bêtise : pour échapper à une punition, j’en accepte une autre, qui est peut-être pire ! Possible, mais celle-ci à l’avantage de n’être pas fixée et de ne durer que le temps que je le déciderai. L’un de nous craquera, fatalement. Si je dis ça, je pense que ce sera lui, mais je crains de flancher la première.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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