dimanche 31 décembre 2006
Avec ou sans disque dur, ma mémoire est encore vaillante et mes forces intactes, puisque j'ai envie ce matin, contre toute attente, d'écrire quelques lignes pour refermer cette année, qui m'a offert de belles rencontres livresques et humaines. D'autres relations se sont épanouies et je suis toujours étonnée par l'amitié, qui vous rend décidément beaucoup plus fort et peut-être même plus beau. Je n'ai pas spécialement de bonnes résolutions pour l'avenir, sinon de donner plus de puissance à mon travail, de mieux me concentrer et d'oser davantage l'écriture qui me tiraille. Demeurer dilettante, car les spécialistes sont souvent stériles lorsqu'il atteignent certain niveau de complexité, mais laisser se sédimenter mes aspirations les plus violentes et construire sur ce socle mon existence. Le reste, je le laisse à Maître Hasard.

2007 sera, selon toute vraisemblance, une année écossaise pour moi. Je le souhaite. Si le vieux barbu me prête vie, je serai en Ecosse au printemps, pour visiter Barrie, Walter Scott, Stevenson et quelques autres, dans le but d'écrire quelques pages qui seront des pages écossaises, en témoignage d'amour et de respect pour James Matthew Barrie. J'espère avoir le temps, pendant ce voyage en langue anglaise, de me rendre à Haworth, dans le West Yorkshire, en mémoire de mes amies, les soeurs Brontë

[The Brontë Sisters, peinture de Patrick Branwell Brontë, vers 1834. De gauche à droite : Anne, Emily, and Charlotte ; Branwell s'était représenté au départ entre Emily et Charlotte mais il a effacé sa présence par la suite... Très étrange l'impression suscitée par cet espace vide... ]


(sans oublier Branwell). Je m'identifie beaucoup à Emily, [Emily peinte par son frère]

qui demeure ma préférée, car Wuthering Heights et ses poèmes sont d'une telle incandescence que j'aime à m'y brûler, mais Charlotte a conquis mon affection la première, dans l'enfance.

A DAY DREAM (par Emily Brontë)

ON a sunny brae alone I lay
One summer afternoon;
It was the marriage-time of May,
With her young lover, June.

From her mother's heart seemed loath to part
That queen of bridal charms,
But her father smiled on the fairest child
He ever held in his arms.

The trees did wave their plumy crests,
The glad birds carolled clear;
And I, of all the wedding guests,
Was only sullen there!

There was not one, but wished to shun
My aspect void of cheer;
The very gray rocks, looking on,
Asked, "What do you here?"

And I could utter no reply;
In sooth, I did not know
Why I had brought a clouded eye
To greet the general glow.

So, resting on a heathy bank,
I took my heart to me;
And we together sadly sank
Into a reverie.

We thought,
"When winter comes again,
Where will these bright things be?
All vanished, like a vision vain,
An unreal mockery!

"The birds that now so blithely sing,
Through deserts, frozen dry,
Poor spectres of the perished spring,
In famished troops will fly.

"And why should we be glad at all?
The leaf is hardly green,
Before a token of its fallIs on the surface seen!"

Now, whether it were really so,
I never could be sure;
But as in fit of peevish woe,
I stretched me on the moor,

A thousand thousand gleaming fires
Seemed kindling in the air;
A thousand thousand silvery lyres
Resounded far and near:

Methought, the very breath I breathed
Was full of sparks divine,
And all my heather-couch was wreathed
By that celestial shine!

And, while the wide earth echoing rung
To that strange minstrelsy
The little glittering spirits sung,
Or seemed to sing, to me:

"O mortal! mortal! let them die;
Let time and tears destroy,
That we may overflow the sky
With universal joy!
"Let grief distract the sufferer's breast,
And night obscure his way;
They hasten him to endless rest,
And everlasting day.

"To thee the world is like a tomb,
A desert's naked shore;
To us, in unimagined bloom,
It brightens more and more!

"And, could we lift the veil, and give
One brief glimpse to thine eye,
Thou wouldst rejoice for those that live,
BECAUSE they live to die."
The music ceased; the noonday dream,
Like dream of night, withdrew;
But Fancy, still, will sometimes deem
Her fond creation true.

Je retournerai à Londres le temps de revoir les lieux barriens que je connais déjà pour certains. Bien sûr, je rendrai compte de ce voyage, ici même, si mes lecteurs sont toujours présents.

*

Walter Scott (1771-1832) m'est davantage familier, au fur et à mesure que je travaille à mon étude qui devrait accompagner les textes de Barrie que je traduis. Je ne savais pas dans quel engrenage je mettais le doigt en m'attelant à ce gros volume barrien. Pénétrer dans le monde des légendes celtiques, afin de mieux saisir et de mettre en perspective les sources de James Matthew Barrie, est à la fois un enchantement et un motif d'inquiétude constante : une part de mon esprit n'est-elle pas désormais captive de l'autre monde ? Et si ces divers livres étaient un appât pour piéger mon âme et mon esprit ? Serai-je comme ces pauvres hères prisonniers d'un cercle de fées et qui sont obligés de danser jusqu'à l'épuisement et la mort ? Ou bien peut-être ne suis-je pas humaine mais une enfant née sur les îles de Tir Nan'Og et qui vit en marge des hommes, sur la frange de leurs rêves éveillés ? Qui sait ce que nous sommes réellement ? Berkeley ou Shakespeare et bien d'autres ont posé cette question, chacun à leur manière.
J'ai déjà une bibliographie longue comme le bras gauche et mon esprit ne sait où tourner ses vacillantes lumières. Mais quel bonheur ! Je ne vis jamais aussi intensément que dans l'étude et lorsque mes doigts s'agitent sur le clavier (et lorsque l'ordinateur ronronne au lieu de flamber, aussi excité que je le suis dans la découverte). Je me sens également légitimée dans ma propre tentative romanesque, comme si j'avais trouvé ma véritable famille littéraire et acceptait enfin cette ascendance.
En 1830, après une première attaque de paralysie, pendant sa convalescence, Scott écrivit les Letters on Demonology and Witchcraft ;





il y fut incité par son beau-fils. L'ouvrage se compose de dix longues lettres à lui adressées. Bien sûr, Scott est un enfant des Lumières et il fait oeuvre de rapporteur de légendes et d'opinions, de conteur ; il critique également les procès de sorcellerie qui ne laissaient aucune chance aux accusés.
Il suffit de lire l'effroyable Malleus maleficarum (Le marteau des sorcières) de Henry Institoris et Jacques Sprenger (1486), pour avoir la chair de poule.
Comme toujours, chez Walter Scott, le propos est précis et copieux, d'un sérieux mâtiné de quelque souffle épique.

Je joins plus loin des extraits de la lettre IV (traduction d'Albert Montémont) où il est question de changelins et de Thomas le Rimeur... Ce dernier est le personnage d'une fameuse ballade des Borders (la région d'Ecosse, où beaucoup de sang fut versé par les écossais et les anglais, car elle servait de tampon entre les deux pays). A lire :

Pour faire plus ample connaissance avec les chansons des Borders vous pouvez visiter cette page bilingue. Cette chanson-ci est citée par J.M. Barrie, qui fait beaucoup référence aux Borders, à l'histoire et à la mythologie écossaise dans Adieu Mademoiselle Julie Logan, son conte de noël et / ou d'hiver qui met en scène un fantôme qui pourrait être l'ancêtre de la bien vivante Mary A., connue de ceux qui ont lu Le petit Oiseau blanc. Les ballades sont souvent teintées de surnaturel et sont la source de contes plus étoffés. Barrie s'ingénie à reprendre dans cette histoire un certain nombres d'éléments du folklore écossais - la pierre de Logan, par exemple... il existe plusieurs pierres de cette sorte... - et de l'histoire terrible des luttes entre anglais protestants et écossais jacobites (catholiques) partisans des Stuarts, dont "Bonnie Prince Charlie" (le Prince Charles-Edouard)

est la figure de proue dans le conte de Barrie. Le jacobitisme dont il est question, par allusions chez Barrie, est très connu aussi des lecteurs de Walter Scott ou de Stevenson (Cf. Kidnapped). Il n'est pas non plus innocent de songer que l'autre prénom du Capitaine Crochet (Hook) est Jacobus... Mais c'est une autre histoire que je raconterai ailleurs. Qui m'aime me suive...


*


(...)











[Cliquez sur les petits extraits pour les agrandir.]

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samedi 30 décembre 2006

Hier après-midi, alors que je travaillais comme d'ordinaire, mon ordinateur a brûlé. Pas au sens littéral, mais un de ses composants a bel et bien surchauffé si j'en juge à l'odeur pestilentielle. J'ai appelé les secours. Il s'agirait de l'alimentation électrique et il est donc possible que le disque dur n'ait pas été atteint. Si Dieu existe, c'est le moment qu'Il le prouve.

Je n'aurai pas davantage d'informations avant le 8 janvier (l'anniversaire d'Elvis m'informe mon ami anglais Robert), date à laquelle un homme de l'art muni des pièces idoines devrait venir opérer mon ordinateur. Je vais vivre dans un coin d'enfer en attendant.

Dans l'intervalle, je ne saurai pas si j'ai perdu ou non mes 3 dernières semaines de travail (forcément fructueuses : traduction, roman, thèse) que je n'avais pas sauvegardées (exceptionnellement, par paresse) et si j'ai perdu à jamais mes courriers électroniques, mes adresses et autres documents que je pouvais sauvegarder en l'état. Mon coeur se serre à cette idée.

J'entretiens avec un certain nombre de mes lecteurs une correspondance régulière (même si je ne suis pas une épistolière digne de ce nom, parce que je manque de temps) et cela m'accable plus que je ne saurais le dire. Cela apprend aussi l'humilité. Être à ce point dépendant des machines est peut-être une faute.

Ainsi, je demande à tous ceux qui m'écrivent ailleurs que sur mon adresse Hotmail de m'envoyer un courrier avec leur adresse électronique, parce que je ne pourrai peut-être plus les contacter autrement. Message personnel à l'intention de la fille de l'hiver qui a fêté récemment son anniversaire : si tu me lis, peux-tu s'il te plaît me renvoyer tes trois derniers courriers - si d'aventure tu les as conservés ? Il vont me faire horriblement défaut si mon disque dur ne survit pas.

C'est une Holly un peu découragée qui écrit ses lignes sur et à partir de l'ordinateur de secours.
Bien à vous, amis et lecteurs.
mercredi 27 décembre 2006
"Il faut se dégoûter soigneusement des autres avant d'être bien fixé soi-même sur ce qu'on peut faire." "L'essentiel c'est pas de savoir si on a tort ou raison. Ce qu'il faut c'est décourager le monde qu'il s'occupe de vous... Le reste c'est du vice." (Céline, Lettres à des amies)

***
A la grâce de Dieu, disait-elle, en joignant les mains pour que la grâce divine lui tombe dans les mains comme un soleil ou un bonheur liquides. Elle s'asperge de foi. Moi, je préfère Chanel number five et un tour de manège sur la fifth avenue. A Dieu vat ! Ce billet est le plus échevelé que j'aie jamais écrit ici. Un vrai chemin de croix. Pas sûr qu'une parenthèse ne vous perde pas en route... Le fil d'Ariane, c'est Nietzsche qui le tient, ou peut-être la liberté que procure l'écriture automatique, errante, sans rature ni retour en arrière. Ce n'est pas moi qui tiens le clavier, mais le petit démon de l'après-Noël, la femme-saule-pleureur que je suis quelquefois, à l'heure des morts, entre six et sept heures du soir, quand les choses et le ciel tournent mal. Le propos ne tient que par associations d'idées multiples. Dieu y retrouvera les siens et, puisque je n'ai aucun va-tout à jouer, je vous le livre tel quel. Personne ne vous oblige à lire. Noël est arrivé en avance, le 23 décembre, sur le dos d'un macchabée. Il avait de la gueule mais ne pipait mot sans pour autant tendre main vers l'offrande de ce truc que l'on appelle coeur dans les dictionnaires. J'ai compris, à six heures du matin, par un coup de fil, que c'était râpé. Mais j'ai fait l'étonnée, la prude et la chochotte. Pourtant, chaque année, c'est pareil : Noël est orchestré par l'esprit de Dickens. Je devrais y être habituée. Il faut dire que je n'ouvre la boutique (mon coeur) qu'une journée par an et que les chalands se pressent à l'occasion, comme s'ils inauguraient quelque chose d'aussi sacré que la grotte de Lourdes ou bien le cul de la Vierge Marie. Ce jour-là, je suis bonne, ce qui m'autorise à être une ordure les autres jours de l'année. En toute connaissance de cause, et ce, sans cynisme aucun. Si vous croyez que vous valez mieux que moi, vous vous égarez. Rares sont ceux dont la bonté n'a rien à voir avec une pitoyable affaire de morale. Je ne connais qu'une seule personne au monde de cette sorte.[Digression assumée, puisque ce billet est un labyrinthe à diverses entrées: lorsque j'évoque la morale, je songe à Kant et je me permets de vous recommander cet excellent ouvrage de présentation des trois critiques du philosophe de Könisberg par son traducteur, Luc Ferry, dont on a oublié, pour raisons politiques, qu'il est un homme intelligent et un excellent pédagogue.


N'hésitez pas, car le style de Ferry est d'une clarté extraordinaire et ce n'est pas une vulgaire vulgarisation mais une oeuvre d'honnête homme.]
Je crois tout simplement que c'est une grâce, une inspiration du coeur, comme il en existe de temps en temps, dans un autre domaine mais dans une contrée proche, pour l'écrivain. L'année dernière, j'ai passé la matinée du 24 décembre à l'hôpital, la salle d'attente d'Atropos, afin d'obliger un alcoolique à remettre son foie entre des mains compétentes sous peine qu'il ne claque avant la fin de l'année. L'année d'avant, j'avais préparé et partagé un petit-déjeuner de Noël avec un clochard de mes connaissances - je ne fraie pas non plus avec le premier venu, on ne sait jamais. Je n'avais pas encore refait la salle à manger, donc je ne craignais pas qu'il salît les murs en s'appuyant dessus pour avancer, mal équilibré sur ses guiboles couvertes d'ulcères. Depuis, il nous a quittés. Oui, la formule est pudique. Qu'importe, il savait bien qu' "Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l'indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes la guerre venue." Ce fut son dernier mot, apocryphe. J'entends parfois son pas, là où il se posait, et je m'aperçois qu'il me manque. Je ne m'épanche pas au point de croire que j'aie pu l'aimer. Non, simplement je me sentais propre, privilégiée, à l'abri, face à son effritement. Mon bien-être tenait la main de sa misère, en toute amitié, avec condescendance aussi. Les jolies filles ont toujours une copine très moche afin de réfléchir leur éclat. La vie est une garce qui aime s'afficher avec la mort. Le bonheur et le désespoir sont comme cul et chemise. Non que je sois une jolie fille, mais les clochards présentent un indéniable attrait pour ma pomme. Depuis toujours. Depuis l'enfance, quand on m'interdisait de leur parler, parce que cela faisait aussi honte que la douleur. Aussi mal fringuées qu'eux, la grand-mère avait peut-être peur qu'on nous prenne pour de la famille... Et puis la pauvreté est contagieuse. On se retire.

[ "L'Oreiller-bouteille", photo de Holly G., à Paris, il y a quelques années. Je regrette de ne pas savoir prendre des photographies, de rien connaître de cette technique, car je ferais des photographies très intéressantes si j'étais douée. J'aime regarder la vie de la ville ; je tombe toujours juste. Le fourmillement d'hommes et d'âmes qui l'agite s'imprime en moi. Cet homme qui dort à poings fermés sur ce banc, les mains recouvrant son sexe, à l'abri du froid, a quelque chose d'innocent dans la posture. Je l'admire et le crains en même temps.]
Peut-être parce que je pressens que je pourrais finir ainsi, peut-être parce que je sais que je finirai ainsi. De Léautaud à Céline, de Marcel à Germaine ou Titi, je n'établis pas de hiérarchie dans le monde des pouilleux. Il y a la cloche de naissance quasiment et le parvenu. Céline fait partie de cette deuxième engeance. Mais une cloche avec ses aises, bourge encore un peu dans les apparences, mais à la moelle viciée. Céline à Meudon, les derniers jours de la vie du plus grand écrivain du XXe siècle. De très beaux clichés


du docteur Destouches et de son bestiaire, femme comprise, Lucette A. Célinienne convaincue, doublement, j'ai découvert des photos que je n'avais jamais contemplées. Clochard céleste, Céline vaut mieux que Diogène, même s'il est réduit par les cons à n'être que Cassandre et souvent bien pire. On ne prête qu'aux riches et toute la clique d'intellectuels de gauche est l'usure des grands esprits. Céline est l'un des grands brûlés de l'Histoire et de la chiennerie humaine. Il y a tout de même une sacrée ironie d'être accusé de collaboration quand on est, dès le départ, un pacifiste pur jus. Il faut avoir connu les horreurs de la guerre pour la haïr autant que lui. Il faut être diablement lucide pour être si mal compris de ses semblables. Enfin semblables, non. Tous ceux qui l'ont condamné sont des morveux, ce sont des mouches à merde. Je ne dis pas ça pour choquer, je le pense réellement, et si mes manières vous déplaisent, je le regrette.
Je suppose que mon oreille est comme un lavabo bouché. Je n'entends plus depuis longtemps les vociférations de la charogne. Je n'écoute plus rien depuis longtemps. Hormis le téléphone. Mais je ne réponds pas. Ne m'appelez pas : je hais le téléphone. Personne ne me croit et il sonne toujours et je me sens obligée, de temps en temps, de répondre, car ceux qui appellent peuvent m'être aimables. Mais si vous m'aimez réellement ne m'appelez pas. J'ai failli vous offrir le conte de Noël que certain événement m'a inspiré, une histoire que j'ai écrite, puis que j'ai détruite ensuite. Je ne pouvais pas abolir toute décence, même si le strip-tease psychique est une de mes insupportables tentations. Ce n'est pas le lieu. De plus, cette histoire ne m'appartenait pas, même dénaturée par le travail de fiction. Elle était celle d'étrangers que je ne connais par ouï-dire, mais on aime toujours davantage ceux que l'on ne connaît pas en première personne. C'est comme les morts qui, rarement, déçoivent. Du moins, les morts que l'on a élus. Ce constat s'applique aux inconnus pour qui on déploie sans peine des trésors de compréhension et d'affection. Il faut dire que le butin est plus difficile à dilapider quand il s'agit de gens imposés, de la famille. Finalement, c'est peut-être elle le centre à partir duquel s'inscrit ce billet désordonné. La famille connaît tous nos travers. Normal, logique, puisque c'est elle qui nous a tordus. Elle nous encadre dans certaines attentes, nous épingle dans la conviction qu'elle nous connaît et, de ce fait, nous empêche de changer de peau, même pour vingt-quatre heures, tandis que l'étranger nous autorise à être qui on veut, le temps que l'on veut, ne serait-ce que pour quelques instants pendant lesquels on passe en fraude des sentiments et des actes que l'on renierait devant nos proches car on n'oserait pas, de peur peut-être que l'on nous prenne au mot et que l'on se sente obligés d'être plus gentil que nécessaire chaque jour. [Clin d'oeil barrien] Un triste conte de circonstance a devancé l'inévitable : mes tristes pensées ; car Noël, malgré la joie délirante qu'il suscite en moi, ne manque jamais de me rappeler mes amères années et la misère du monde, quotidienne, des autres, qui n'est que plus flagrante, par un évident contraste, ces jours-ci. Je ne suis pas hypocrite au point de pas songer que cette pensée altruiste n'est qu'une manière de me sentir gentille, aimante, compassionnelle, et une tentative esquissée envers une possible déculpabilisation. Voilà j'ai atteint mon degré ultime de faux-cul. Mais je sais très bien que tout se paie. Le bonheur au centuple. Plus dure sera la chute. Chacun son tour. Au suivant ! Pas besoin de s'appeler Brel pour cette évidence. Par conséquent, je paierai la facture, un jour ou l'autre. Cette certitude ne m'empêche pas de vivre. Au contraire, je crois que cette logique du pire m'oblige à vivre intensément les plus infimes joies comme les plus inespérés bonheurs. Je ne fais rien de plus que la plupart de mes contemporains pour les malheureux et les délaissés. Je pense souvent à cette citation de Céline, qui pourrait me servir d'épitaphe, si je ne désirais pas être incinérée : "Si on se laissait aller à aimer les gens gentils la vie deviendrait atroce. Je ne sais pas pourquoi mais ce serait ainsi. Il faut se raidir pour vivre." (Lettres à des amies) C'est pour cette raison que je suis fière de n'avoir pas plus de coeur qu'une huître ou une puce. L'huître se retrace devant l'aigu du couteau qui vient la tenailler. Mon coeur est pareil. Ce n'est qu'un muscle qui réagit devant certains stimuli. La puce, elle, est bien trop petite pour avoir de la place pour un coeur. J'ai beau être une grosse vache. On ne me trait qu'une fois par an. Je ne me ferai pas avoir plus que de raison. Aimer, c'est toujours risquer sa peau. Pour ça, je préfère encore les barbelés de l'écriture. Oh, oui. J'aime quelques personnes (dont quelques lecteurs de ce JIACO, qui le savent, je le pense), ça, c'est le piège et il est trop tard pour y remédier, mais je n'aime personne en général. Aimer au particulier est déjà si pénible ; c'est un joint par où l'on peut vous atteindre et vous désolidariser de vous-même. Quelle horreur ! Un homme quelque part est mort et sa femme, à peine plus âgée que lui (20 ans de différence ne comptent plus du tout quand on arrive au bout du rouleau, quand les années se comptent avec trois chiffres), a passé la veille de Noël et le jour de la Nativité en compagnie d'un cadavre sur une table réfrigérée dans son petit appartement, perché quelque part. Elle est sans doute plus raisonnable que moi parce qu'elle n'a pas pleuré. A quoi ça servirait de se bouffer le visage et de raviver le cours d'eau à sec de ses vieilles rides ? La mort n'est qu'une formalité. Déplaisante, certes, mais ce n'est pas l'essentiel. Que serait cet essentiel sinon d'aimer les êtres quand on le peut, de se damner pour eux s'il le faut. Je n'aime réellement qu'une personne et je me sais au moins aimée une fois, sans conditions. Qui peut en dire autant, hein ? C'était Noël, après les préliminaires tristes. Soyons gais ! Crevons d'abondance ! Voyez comme je peux, en un tour de main, redevenir celle que je n'ai jamais cessé d'être : Holly la bienheureuse ! Holly que Siréneau, l'un des tous premiers lecteurs de ce JIACO, devenu ami, a dévoilée à elle-même. Holly a été gâtée. Beaucoup trop, bien entendu. Je ne pourrai pas faire une liste exhaustive sans un effort de mémoire. Il me faudra plusieurs mois pour tout découvrir. Je n'ai pas été aussi gentille que cela pour prétendre à tant d'hommages matériels. Mais, comme me l'a dit un jour Monsieur Anon, admiratif devant la gamme étendue et variée de mes sacs à main (la seule frivolité vestimentaire à laquelle je sacrifie volontiers et plus que de raison ! Le sac à main est à la femme du XXIe siècle ce que le manchon était à la femme selon James Matthew Barrie. Bénabar l'a très bien compris :
"J'le tiens, j'ai réussi, je procède à l'autopsie De cet animal fidèle qui la suit comme un petit chien Coffre-fort, confident, partial et unique témoin Qu'elle loge au creux de ses reins Mais qu'elle appelle, comme si de rien, son "sac à main" )
que "M. Holly" (alias Père Noël, le mois de décembre) ne cesse d'agrandir au fil des saisons,

[Photographie extraite du site Longchamp, Sac Vintage cuir, couleur rouge]
à quoi bon un cadeau si on le mérite ?
My Mister Anon vient d'ouvrir, sans le désirer, une brèche philosophique. Vous le savez sûrement mais le mot cadeau a une étymologie intéressante. Littré nous informe ainsi :
Catellus, petite chaîne, de catena, chaîne (voy. CHAÎNE), à cause de la forme enchaînée des traits de plume. Ménage nous apprend que faire des cadeaux s'est dit pour faire des choses spécieuses, mais inutiles, comparées métaphoriquement à ces traits de main des maîtres d'écriture. De là on passe sans peine à cadeau dans le sens de divertissement, fête et, finalement, présent.
(Je souligne en rouge, de la couleur de mon nouvel animal domestique, mon sac à main...)
Le cadeau utile est donc, par définition, un anti-cadeau, car il court-circuite l'idée gratuite qui préside à sa naissance. Mais reste à savoir ce qui est futile et utile, car une seule lettre sépare ces deux exigences contradictoires ! Tout dépend de la complexion du destinataire. Le cadeau, reçu ou donné, est très révélateur de notre rapport à nous-mêmes et aux autres. La difficulté à recevoir et / ou à donner en dit long sur nos sentiments les plus cachés et sur notre désir ou refus de nous mettre à nu devant les autres, de même la pléthore ou la générosité de l'échange. Parfois, le cadeau est empoisonné, une prison car il engage à la gratitude, il peut être à sens unique plus rarement, mais quelquefois il est un don des dieux, quand il n'est pas relais de certaines rancoeurs. Une photo du pied du sapin, la nuit de Noël, est une radiographie de la famille. Tout est contenu est germe. Le cadeau est aussi, pourquoi pas, l'avatar des sacrifices que l'on faisait aux dieux... Il pose la question du don véritable, à laquelle seul l'amour véritable peut répondre.
Pendant cette fausse trêve scripturale que j'avais décidée, en écoutant la voix envoûtante et kitsch pour beaucoup, russe (dès que je serai un peu à l'aise en chinois, je débuterai l'apprentissage du russe ; apprendre une langue est à chaque fois naître ailleurs et éveiller un autre pan de son âme) et allemande, d'Ivan Rebroff qui va si bien avec mon humeur du jour et les Kindertotenlieder (Chants pour les enfants morts) de Gustav Mahler, je me délecte en lisant ou relisant quelques ouvrages. Certains, je les possède depuis quelques temps, d'autres me furent offerts pour Noël, mais tous ont en commun le pouvoir de m'émerveiller. Démons et merveilles est l'un des plus beaux livres qui soient sur le sujet.

A la fois histoire du monde féerique et panorama luxueux de l'iconographie relative, ce livre est un trésor inestimable. Certaines reproductions s'étendent sur une double page pour le plaisir des yeux les plus blasés. La part belle est faite aux peintres victoriens, parmi lesquels mon chéri, John Anster Fitzgerald. Le monde des fées est lié à une certaine idée d'harmonie entre l'homme et la nature, le petit peuple étant le messager de valeurs qui échappent à l'homme au fur et à mesure qu'il se polit au contact de la société. Attention, il existe deux éditions et il serait dommage d'acheter l'édition de poche car on profite moins des reproductions. Dans un genre comparable est sorti en traduction française ce petit livre d'images. La couverture emprunte à Grimshaw l'une de ses toiles les plus célèbres. Le livre est un parfait petit guide pour qui ignore tout du monde merveilleux par la peinture.

Si les dragons vous fascinent, peut-être serez-vous heureux de posséder ce grimoire, qui vous éduquera et vous apprendra l'art et la manière de dresser cet animal mythologique, cher aux chinois.
Je ne quitte pas un instant le monde des fées, en évoquant ce très beau livre consacré à la divine Audrey Hepburn. Je suis émue d'ouvrir les enveloppes transparentes qui le composent en partie et de sortir le fac-similé de divers documents qui jalonnent son existence, telle cette lettre d'excuse de Cary Grant... ou un faire-part ou encore une page de scénario annotée de sa main.

Les éditions du Seuil avaient sorti un ouvrage comparable dans la conception et l'esprit qui s'adressait aux fans de Sinatra, de ces Old Blue Eyes, grâce auxquels je ne connais aucun Foggy day.
Je suis très fière de le posséder dans ma bibliothèque, de même que cet inattendu cadeau :
Cinq disques d'enregistrements publics de l'immortelle voix du plus célèbre crooner au monde.
Sinatra était aussi un acteur, célébré par Capra ou Minnelli. Comme un torrent vient d'être édité en zone 2:
Je n'en parlerai pas encore puisque je n'ai pas encore eu le plaisir de le visionner. Il est tombé très récemment dans mon giron. J'aime davantage Sinatra chanteur, mais je ne nie pas son talent d'acteur, et Minnelli est génial.
L'avide inculte que je suis se promet quelques heures de plaisir en dévorant cet ouvrage qui me parle d'un autre cinéma cher à mon coeur.

Noël engage les marchands de culture à déverser des tonnes de coffrets pendant les fêtes et parfois c'est une aubaine. Après le premier et indispensable coffret James Ivory, qui réunissait trois films magistraux inspirés de E. M. Forster (le superbe Maurice, mon préféré, Chambre avec vue ainsi que Retour à Howard End,


Noël a amené celui-ci, qui évoque le versant indien de l'oeuvre du grand cinéaste :



Je ne suis pas encore, loin de là, une spécialiste du Bollywood, mais j'aime beaucoup les couleurs, l'agitation, les sagas indiennes. Je ne connais aucun de ces quatre films mais je suis persuadée de les adorer. Je reviendrai en parler si 2007 ne me fait pas un croc-en-jambe, si les roses ne fanent pas dans l'intervalle. Cela me rappelle certain livre foisonnant de John Irving
et parfois la déraison romanesque, le goutte-à-goutte sentimental de certains soaps. Je suis une sentimentale au sens de Barrie, c'est pourquoi je vous fais l'aveu suivant, qui n'intéresse qu'une seule personne.
Un de mes plus beaux cadeaux est une lettre qui m'a été écrite la nuit de Noël par une jeune personne très spéciale qui se reconnaîtra. Il est des lettres auxquelles on n'ose pas répondre de peur de les abîmer et de détruire la fragile magie par laquelle elles tiennent. Néanmoins, je dépasserai cette crainte légitime, un peu plus tard. Il m'est doux de penser que la véritable famille est celle en laquelle on se reconnaît d'âme. Je ne réapparaîtrai que dans les premiers jours de 2007. J'escompte écrire un chapitre ou deux, pour moi-même, dans le secret de mon antre.
Je vous souhaite une "Bonne année mon cul !", comme je le fais à mes très proches, donc ne soyez pas offusqués, c'est très affectueux.
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mardi 26 décembre 2006

"Là où d'autres proposent des oeuvres je ne prétends pas autre chose que de montrer mon esprit.
La vie est de brûler des questions.
Je ne conçois pas d'oeuvre comme détachée de la vie.
Je n'aime pas la création détachée. Je ne conçois pas non plus l'esprit comme détaché de lui-même. Chacune de mes oeuvres, chacun des plans de moi-même, chacune des floraisons glacières de mon âme intérieure bave sur moi. "

La création est organique, aussi bien production de l'esprit que du corps, surgissement radical et impromptu de l'être vital. Elle est aussi liaison de l'être qui crée avec l'univers qui l'héberge et avec ses contemporains, hommes, bêtes, végétaux, cieux compris, peut-être.
Qui mieux qu'Antonin Artaud a incarné cette terrible et incompréhensible vérité de l'artiste ? Qui dit incarné dit aussi prisonnier. Et la langue n'est jamais libération pour Artaud, car il est conscient du danger de gélification des mots, quand son désir est de décharner la voix pour lui faire porter à cru l'émotion dans sa brutalité.


"Je suis celui qui a le mieux senti le désarroi stupéfiant de sa langue dans ses relations avec la pensée. Je suis celui qui a le mieux repéré la minute de ses plus intimes, de ses plus insoupçonnables glissements. Je me perds dans ma pensée en vérité comme on rêve, comme on rentre subitement dans sa pensée. Je suis celui qui connaît les recoins de la perte.
Toute écriture est de la cochonnerie.


Les gens qui sortent du vague pour préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons."

Artaud ne parle pas de n'importe quelle écriture, on le comprend. Lui, il n'écrit pas ; il vit ; il s'écoule en direction de la page, il se liquéfie dans le verbe à l'image de ces horloges molles peintes par Dali qui semblent s'égoutter à l'infini mais sans réellement tomber. Prodige d'une langue, qui ne cesse de bouger et de se réajuster, aussi mobile en volonté que la pensée l'est par sa nature. Impossible de saisir sur le vif mais volonté de briser pour mieux réunir. Vertige éternel.

Il existe deux grandes façons de lire Artaud : de l'intérieur, c'est-à-dire par communication des viscères et des cylindraxes, ou bien de l'extérieur, à l'abri de la raison polie. Dans le second cas, c'est se condamner à ne point le lire. Artaud se lit comme on pourrait écrire par procuration. Il demande l'amnistie du jugement. Il faut accepter cette combustion spontanée à laquelle lui-même est soumis.


Un beau volume est sorti cette année qui reprend les textes les plus fameux d'Artaud, illustrés de manière assez inspirée par Louis Joos.

C'est une façon agréable de faire connaissance avec le chantre du théâtre balinais que de consulter ce beau livre au papier épais, aux nobles pages - de celles qui appellent la caresse.


"Depuis j'ai changé ma manière. Et je l'ai changée en comprenant que c'était comme magicien que j'étais interné, empoisonné et envoûté."

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vendredi 22 décembre 2006
Chers amis, chers lecteurs, chers passagers clandestins, chers inconnus d'ici ou du bout du monde,
Holly laisse ces pages en suspens, quelques jours, le temps de fêter dignement Noël. Rien ne prouve que je ne viendrai pas errer quelques instants ici mais je ne pense pas écrire avant mardi ou mercredi prochain, sauf besoin.
C'est l'occasion pour moi de vous adresser des pensées parfumées et débordantes de poussière d'étoile. Un Pooka est venu me rendre visite et a laissé trace de son passage dans mon esprit. Le sourire de Barrie se prend pour celui du Cheshire Cat et écorne un des murs de mon bureau. Etrange.

Je ne sais plus très bien ce qui se passe, mais ça tangue chez moi, mais j'aime ça. Et Gormenghast est solide.
Pensée particulière pour ceux que j'aime, que j'ai rencontrés ou non dans la vie qui traverse l'écran, over the rainbow ou in Paradise Lost et sometimes in Hell. Pensée aussi pour mes amis de toujours, David et Olivier, Olivier et David. Delphine, elle, ne me lira pas, puisqu'elle est cloîtrée dans un couvent.

Je vous laisse en compagnie d'un autre illuminé, Jacques Higelin, dont le nouvel album, Amor doloroso,
est superbe. Occasion de mettre un peu des pensées de mon amoureux de mari dans ces lignes, et histoire d'être affreusement impudique.
Higelin name="movie" value="http://www.rosesdedecembre.com/dewplayer.swf?son=http://www.rosesdedecembre.com/higelin.mp3">
Joyeux Noël !
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jeudi 21 décembre 2006

On a rendu dernièrement bel et vibrant hommage aux images, aux surréalistes et à leurs frères d'âme, ces illusionnistes qui, seuls, par le plus impensables des paradoxes, parviennent peut-être à sortir de la Caverne de Platon... Mais à quel prix cette inflammation des sens ? A quoi faut-il renoncer pour voir et, plus encore, donner à voir ?


Cette implosion de l'esprit, Artaud l'a connue, mais jusqu'à la damnation éternelle de sa raison.
Nul doute qu'il en avait déjà fini avec le jugement de Dieu

Artaud



avant même de se croire l'auteur de certains écrits de Lewis Carroll... Quelque chose en lui était fracturé dès la naissance.


Je ne sais s'il est souhaitable de souffrir autant que lui pour atteindre le sublime, mais je suis bien persuadée que l'immense artiste qu'il fut, à l'instar d'un Mervyn Peake, mais acteur en prime, a payé ce privilège dans sa chair autant que dans sa pensée.



Qui peut douter en regardant Artaud, dans le magistral film de Dreyer, La passion de Jeanne d'Arc, que son regard

porte au-delà des apparences communes aux pauvres mortels que nous sommes ?

Artaud est un oiseau de mauvais augure, il croasse, mais dans sa folie, ultime refuge probablement d'une impitoyable lucidité, il avait saisi l'essence de l'art.

Il n'est pas temps encore pour moi de vous parler de lui, mais j'aimerais déposer ses mots ici, en guise de préambule à d'autres billets et de commentaire au billet du jour de Gaëlle.

L'opposition de l'image au concept a traversé toute la littérature et la philosophie, en France plus qu'ailleurs en ce qui concerne la fiction. Comment pourrait-il en être autrement ? L'image est ce qui n'est pas maîtrisable, ce qui échappe à toute tentative de rationalisation. C'est le mystère incarné, le Verbe premier.

L'image crée sa vérité, qui n'est pas celle de la raison. L'entendement dévoie vers le vivable quand l'image nous coupe en deux, pour voir si nous portons un fruit, si nous avons autant de valeur qu'une noix. Elle est la clef qui ouvre un autre monde, plus réel que celui dans lequel nous avons coutume de vivre et de penser. C'est le monde intérieur, celui de l'homme barbare et cruel. D'une de ses côtes naît l'artiste. Toute folie n'est pas artiste mais tout artiste pactise avec une forme de folie. Il porte en pendentif cette goutte de déraison solidifiée. C'est un danger, une angoisse, mais ce n'est jamais un choix. On peut penser fuir ailleurs. Sauf qu'il n'existe aucun ailleurs.


"Ce qui est du domaine de l'image est irréductible par la raison et doit demeurer dans l'image sous peine de s'annihiler.
Mais toutefois il y a une raison dans les images, il y a des images plus claires dans le monde de la vitalité imagée.
Il y a dans le grouillement immédiat de l'esprit une insertion mutiforme et brillante de bêtes. Ce poudroiement insensible et pensant s'ordonne suivant des lois qu'il tire de l'intérieur de lui-même, en marge de la raison claire et de la conscience ou raison traversée.

Dans le domaine surélevé des images l'illusion proprement dite, l'erreur matérielle, n'existe pas, à plus forte raison l'illusion de la connaissance ; mais à plus forte raison encore le sens d'une nouvelle connaissance peut et doit descendre dans la réalité de la vie.
La réalité de la vie est dans l'impulsivité de la matière. L'esprit de l'homme est malade au milieu de concepts. Ne lui demandez pas de se satisfaire, demandez-lui seulement d'être calme, de croire qu'il a bien trouvé sa place. Mais seul le Fou est bien calme."


Artaud, comme Socrate, est la figure par excellence du Silène.
Le sang d'un poète, film onirique de Jean Cocteau, grand manipulateur d'images, exprime tout ceci. J'en extrais une image particulière, qui m'a toujours donné un point de côté.




Je suis cette enfant sur le rebord.


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  • Je lui ai dit oui. Sans réfléchir. Ordinairement, je refuse tout ce qui ressemble à une tentative pour me faire parler ou écrire sur quelque chose que je n'ai pas choisi. Oui, je reçois des propositions, et pas toujours des plus honnêtes. De la demande d'aide à la dissertation en passant par ceux qui exigent, sans politesse aucune, que je leur donne mon travail sur Peter Pan ou Barrie, comme si cela était normal ! Il y a aussi les demandes d'écrivains suffisamment désespérés pour croire que je peux les aider à gagner l'estime qu'ils n'ont pas pour eux-mêmes, moi qui ne suis bonne à rien sinon à m'épuiser. Il faut croire que le blog est une nouvelle stratégie de vente. D'après le Time de cette semaine, nous sommes entrés dans une ère neuve, celle où les internautes prennent le pouvoir, et pas seulement par le biais des blogs. Pour le meilleur et pour le pire. Par la faute des mauvais journalistes littéraires qui ne font pas leur travail ? Sûrement. Par la faute aussi des éditeurs qui publient beaucoup de déchets. Il suffit de jeter un regard aux têtes de gondole des Fnac, Cultura et autres Virgin, fossoyeurs de la Culture. J'ai la nausée. Tout cela pue la merde et la facilité. Il faut de l'aisé à lire, du propret, du pas fatigant et surtout du pas original, parce que le lecteur est un consommateur peu exigeant, peu cultivé et très pressé. C'est ce qu'ils croient, ces jean-foutre, ces assassins. Un inconnu vous propose donc de vous envoyer son livre, à condition que vous le lisiez et que donniez un libre avis sur votre espace personnel. Ensuite, vous lui renvoyez l'ouvrage. Frais de ports payés. Pourquoi pas ? Qu'est-ce que je risque ? Au pire, un profond ennui et une crise de rage.

    La transaction est impeccable. Vous ne lui devez rien. Il ne vous doit rien.
    C'est ainsi que j'envisage la relation.
    Dans l'objectivité froide.
    Sans affectivité. Je ne le connais pas. Il ne sait rien de moi. Nous sommes dans la position idéale de l'auteur et du lecteur, mus par le facteur hasard, même si le hasard de la rencontre est dans ses mains à lui. De toute façon, il faut bien qu'il soit incarné quelque part par quelqu'un.
    Combien de lecteurs, face collée contre l'écran, accepteront sa proposition ? Je serais curieuse de connaître le pourcentage.
    Après tout, comme je le lui ai dit, les livres ne meurent jamais que de silence. Qu'ils soient brillants ou médiocres.
    Entendons-nous bien. Je connais le milieu, je sais que les critiques littéraires honnêtes sont rares. Je parle de ceux qui lisent réellement les livres sur lesquels ils font un papier.
    Je suppose que Nicolas Cauchy attend de ces inconnus qu'il sollicite autre chose qu'une publicité gratuite, un avis honnête, une émotion brute, un jugement en âme et conscience. Je ne peux que lui promettre de mettre mon coeur et mon esprit à nu le temps de rédiger les lignes que vous déchiffrez en ce moment.
    Je lis très peu de littérature française contemporaine, voire pas du tout. La vie est trop courte pour perdre son temps en atermoiements littéraires. Je n'aime pas les bègues et les radoteurs. Je ne fréquente pas les pissotières où sont installés un grand nombre d'éditeurs dans notre beau pays.
    Hormis Michel Tournier, il n'y a pas grand-chose à sauver et je n'ai pas l'âme d'une aventurière. Au prix du livre, même milliardaire, je ne prendrais pas le risque. Toujours la même rengaine. Toujours l'identique vacuité du Moi. Mort du roman. Exit. Merde, alors !
    A priori, je suis une très mauvaise pioche.
    Pourtant, j'ai été prise au jeu de Nicolas Cauchy, qui signe un premier roman plutôt audacieux. Je suis heureuse d'aimer son livre, car je préfère parler ici de ce que j'aime, histoire de ne pas démoraliser les troupes. Néanmoins, j'aurais préféré écrire un truc vachard, parce que j'excelle dans l'ordure et l'injure. S'il me connaissait, il saurait que je ne suis pas policée et que je me fais un point d'honneur à renier toute forme d'hypocrisie. Je me moque pas mal de déplaire.
    Tout cela ne veut pas dire que j'ai adoré le livre. Non, mais je l'ai aimé suffisamment pour avoir envie d'en parler et de le conseiller.
    *
    Le style est ce que vous remarquez en premier. Tant mieux, cela prouve qu'il existe, même s'il paraît quelque peu artificiel sinon artificieux. Un style ne l'est-il pas toujours ? Certes, un style est une construction qui requiert un minimum de conscience, de perception de l'effet désiré, de doigté, de tact, de triche... Mais c'est aussi une petite musique, quelque chose de viscéral, qui laisse s'exprimer un indésiré, ce qui fait naître la solution de continuité entre l'auteur et son écriture, un murmure. Je n'ai pas entendu cette voix de basse, je l'avoue et le regrette un peu.
    A certains égards, le style de Nicholas Cauchy est trop maîtrisé, trop volontairement mathématique et impitoyablement efficace. J'aimerais plus d'innocence, trouver des remords et des reprises au détour de la phrase. Un premier roman devrait paraîre moins aguerri, même si subsistent ici ou là deux ou trois clichés.
    Il lui manque encore une présence, celle des fantômes de l'inconscient qu'il ne faut pas soudoyer pour qu'ils demeurent tranquilles, mais que l'on doit laisser danser dans l'ombre des pages. Bannir les adjectifs qualificatifs, sanctifier la maîtrise et la rigueur de la phrase incisive ne dispense pas d'une certaine générosité verbale.
    Mais il y a un style, malgré ma réticence à pleinement le recevoir.
    Si peu en ont un de nos jours que cela surprend, toujours favorablement. L'écriture de Nicholas Cauchy est neutre ou, comme le disent les mauvais critiques, blanche. Oui, blanche. Et c'est à double tranchant, vous le pressentez, car ce qui manque de couleur peut aussi manquer de chair. Il faut une grande confiance en soi pour larguer aussi violemment les amarres.
    Ce livre est néanmoins une arme. Si vous n'aimez pas que l'on vous taillade la peau, passez votre chemin, car vous allez faire une mauvaise rencontre sur la route qu'il emprunte. Il pourrait aller plus loin, je le suivrais. Je regrette qu'il faille se séparer si vite.
    Je ne suis pas persuadée que l'écriture du romancier en question ici ne soit pas prise par certains pour un manque immense, que sa froideur chirurgicale apparente ne soit pas confondue avec une absence d'émotions. L'exercice est délicat. Mais, sans ce repli et cette économie, l'histoire y perdrait beaucoup. En revanche, je ne crois pas du tout qu'un autre récit serait aussi bien servi par cette manière de s'imposer au lecteur. Je puis me tromper. Qui suis-je pour juger ?
    L'intérêt du roman ne porte pas sur le dénouement que l'on sait d'emblée ni sur les raisons du crime, car elles n'existent pas (le trop-plein d'émotions qui engage un père à tuer sa petite fille peut, à la limite, être crédible... Aimer peut être insupportable pour certaines natures, j'en conviens.), et ce n'est pas la véritable question. Du moins, ce n'est pas celle que je me suis posée pendant ma lecture.
    Cette distance du narrateur, dans ce vous qui semble s'adresser autant au lecteur - l'obligeant à une forme d'identification perverse -, qu'au protagoniste principal, est à la fois un indicatif et un impératif, une description et une reconstitution de l'histoire. Une ambiguïté, un trouble, demeure jusqu'au dernier instant. Qui parle ? Pourtant, tout est donné dans le titre.
    Qui peut mieux parler du sentiment que l'amour qui n'a pas trouvé destinataire ? Mais Hélène ou Electre porte mal son prénom.
    Ce livre n'est pas un livre qui permet au lecteur de nidifier à l'intérieur. C'est un roman qui se lit cul-sec. Si vous n'acceptez pas cette évidence, vous n'êtes pas fait pour lui. Il impose une loi, un préalable que l'on est libre ou non d'accepter. Reposez-le si vous attendez plus que l'autopsie d'une impossibilité.
    Ce roman est, selon moi, un beau livre sur l'enfance. Pourtant, ce n'est pas ce qui apparaît en premier lieu. Finalement, ce livre qui paraissait au premier abord si limpide et franc dissimule bien son secret. C'est sa grande force.
    Un homme qui tue son enfant, cela pourrait être choquant si cela n'était pas dit avec ce recul qui n'est pas insensibilité mais pétrification. Mais ce n'est pas l'histoire de cette enfant-là qui importe, car l'enfance parfaite est stérile. L'enfant est trop mignonne. On l'imagine, les joues roses, le sourire qui éclôt sur le visage conquérant des préférés. Cette enfant en cache une autre, gauchie et gâchée. Le père tue l'enfant aimée car il lui est impossible d'aimer l'autre, pressentant peut-être qu'il se trompe d'être à aimer ou pour rétablir une justice, en laissant en vie celle qui n'a rien d'autre pour elle que son souffle.
    En résumé, je ne crois pas un instant à l'explication apparente de cet irréparable commis par un père :
    "Vous aurez seulement un avertissement ce qui se passe en vous. Un message de votre corps traduisant une émotion, probablement une émotion, en tout cas quelque chose de douloureux, une douleur à la poitrine, comme un point de côté, l'impression que quelque chose entre en force alors qu'il s'agit peut-être du contraire, quelque chose qui sort de vous, un sentiment, une émotion - avec du recul, c'est facile d'appeler ça comme ça -, mais ça vous fait mal."
    Cher Monsieur,
    Je lirai votre prochain roman mais, cette fois-ci, je l'achèterai. Je suis curieuse de savoir sur quelle porte votre univers va s'ouvrir dans le futur. J'ai une vague idée. J'aimerais savoir jusqu'à quel point je me trompe. Ou pas.
    Bien à vous.
    ***********
    Son site.
    Son blog.
    ************** Catégorie :
    mercredi 20 décembre 2006

    Après quelques difficultés liées à la mise en place des nouvelles fonctions de Blogger (espérons que cela corrigera tous les défauts qui lui étaient inhérents jusqu'à présent !), j'ai cru un instant avoir perdu les Roses de décembre. Finalement, je suis encore là, sur mon blanc destrier. Je conserve les catégories que j'avais mises en place via del.icio.us pour pallier le manque passé de Blogger, malgré la toute nouvelle présence de "libellés".


    Je vous invite sur la Chasse au Snark pour y lire un petit billet sur Lewis Carroll (merci Robert, car c'est grâce à toi !).








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  • lundi 18 décembre 2006
    J'ai envie de dédier ce petit billet à "celui qui sait remuer ses sourcils comme James Matthew Barrie", témoignage d'amitié barrienne et cinéphilique - bien que je ne mérite pas le terme de cinéphile. Encore un film de Lubitsch ! Oui, c'est Noël avant l'heure !
    Oui, mais il vaut la peine d'en parler, pas seulement parce qu'il est génial, mais aussi parce qu'il ressort dans deux salles parisiennes, dont la Filmothèque Quartier Latin (rue Champollion), qui est un cinéma auquel je suis attachée depuis longtemps (il vient de partiellement changer de nom, néanmoins le même monsieur charmant officie depuis tout ce temps). Puisqu'il n'est pas encore sortie en DVD et puiqu'il ne passe pas très souvent sur les chaînes du câble (hormis récemment sur France 3, me souffle-t-on à l'oreille), il n'est pas inutile de transmettre cette information capitale.
    Le scénario est en partie de Samuel Raphaëlson dont je vous ai déjà parlé. Sonia, la veuve la plus riche de Marshovia , posède plus de la moitié du pays. Elle part à Paris, lassée de son statut de veuve, à la faveur d'une rencontre avec le comte Danilo, qui lui déclare sa flamme sans connaître son visage. Elle le repousse, puis regrette ce rejet, car son imagination s'est enflammée. Le plus grand séducteur du pays a réveillé en elle le désir de l'amour. En témoigne ce journal intime, vierge depuis de longs mois, qui s'ouvre à nouveau pour recueillir ses nouvelles aventures. Le roi est aux abois. Il faut que Sonia revienne. Un seul homme semble désormais capable de sauver le pays : le comte Danilo. Sa mission, ultra-confidentielle, consiste à séduire la veuve et à l'épouser. Car, si sa fortune tombait entre des mains étrangères, cela en serait fini du roi et du pays...
    Maurice Chevalier (à l'accent anglais si... français mais adorable) et Jeanette MacDonald (minaudante) sont les deux acteurs principaux, qui vont jouer au chat et à la souris, avant de glisser dans les bras l'un de l'autre - et non pas de tomber, car tout est danse et légèreté et rien ne ressemble jamais à une chute dans les films de Lubitsch, pas même les happy ends... La chute est verticalité brutale, quand le cinéma voluptueux et sensuel de l'ami Ernst se déploie gracieusement dans l'horizontalité des draps froisés et des divans rebondis (Cf. la scène où la belle Sonia est sur le point de succomber aux assauts de Danilo, dont la mélodie du nom exprime la séduction), synchroniquement plutôt que diachroniquement. Un des secrets de Lubitsch est peut-être là, dans ce choix de l'image qui avance, qui se superpose à la suivante, plutôt qu'elle ne tombe, ne s'accumule et ne prenne finalement trop de poids, en faisant boule de neige. Reste à savoir qui est capturé par l'éternel piège, qui est la proie et qui est le fauve. L'amour est dangereux, lorsqu'il devient trop sérieux, et sa punition, semble nous dire de temps en temps, Lubitsch est le mariage ! [Je ne souscris absolument pas à cette vision désenchantée, bien au contraire ! ] Voir la dernière scène où les deux amoureux potentiels sont enfermés dans une cellule jusqu'à ce qu'ils disent oui, pour le bien de tous... Lubitsch, dans ce film, plus que jamais, c'est le mouvement incessant de la vie et un sens absolu du tempo, un style et un bonheur, cette fois-ci, de tomber juste qui pourraient se résumer par le vieux mot grec kairos. Le bon mot ou la réaction idoine, la vivacité d'esprit, qui prouvent que l'on n'est pas égaré par le tourbillon des sentiments et de la vie, mais que l'on devance presque chaque événement, donnant ici et là l'impulsion ou le coup de pied qui pourraient faire défaut aux situations, quitte à déposséder en un tour de passe-passe une dame de sa chaussure, afin de la déshabiller sans qu'elle s'en aperçoive, ou en la détroussant l'air de rien (Cf. certaine scène de Trouble in paradise) au propre et au figuré. Le vêtement et les accessoires servent le thème du voilement/dévoilement qui est souvent à l'oeuvre dans ses films et qui symbolise la progression du sentiment amoureux, en écrivant implicitement dans le cadre la carte du tendre, à travers ce qui est masqué, puis révélé (Cf. la voilette de Sonia, qui masque son visage, exceptées ses lèvres) ... Ce jeu de cache-cache exprime aussi une forme de fétichisme de la part du réalisateur, plus ou moins comparable à celui de quelqu'un comme Bunuel. Les relations amoureuses chez Lubitsch s'apparentent toujours au rapt ou au vol, à une forme de manipulation (de bon aloi), à un jeu de dupes (consentantes). La veuve joyeuse (Die lustige Witwe), comme chacun le sait, est une opérette célèbre de Franz Lehar. Si Lubitsch garde à peu près la trame, il insuffle à l'histoire son art de filmer, qui est tout autant un art de vivre et pourquoi pas une philosophie de l'existence ? Derrière la frivolité apparente des ébats et des échanges, derrière ce mouvement perpétuel des corps et des coeurs, derrière la volubilité des lèvres, se tait peut-être une réserve plus profonde, qui viendrait tout gâcher si elle trouvait manière à s'affranchir du postulat lubitschien : le léger et l'aérien. Sonia incarne cette tendance sérieuse qui contamine peu à peu l'esprit de désinvolture de Danilo, mais qui est sauvé in extremis par une pirouette finale du cinéaste. Deux versions furent filmées (américaine et française), avec une distribution différente en ce qui concerne les rôles secondaires. Maurice Chevalier ne voulait pas de cette partenaire-là et, pourtant, on ne perçoit pas l'antagonisme qui peut exister entre les deux acteurs. Ce film est un film riche, ne serait-ce que par la pléthore de moyens mise à la disposition du Maître, très visible dans les scènes de bal, chorégraphiées au millimètre et débordantes de luxe. Bien qu'à maints égards il reflète la quintessence du cinéma lubitschien, ce n'est pas le film que je préfère. Peut-être que le maniérisme de Jeanette MacDonald m'éloigne un peu, trois pas en arrière, pour contempler les scènes, au lieu que mon oeil s'épanouisse en leur centre. Je ne sais pas à quoi cela tient. En de nombreux endroits, je suis enchantée, mais je ne le suis que par à-coups, alors que j'ai coutume de l'être de A à Z. N'allez pas croire pour autant que je boude mon plaisir, ce n'est pas mon style. Disons, pour résumer, que le plaisir que l'on prend à voir ou revoir ce film est latéral alors que d'ordinaire il me paraît frontal. Cela tient sûrement à la nature de la relation des deux (futurs) amants, qui ne cesse qu'au dernier instant d'être une lutte. L'amour est un jeu mais aussi un combat, ainsi qu'en témoigne, par exemple, l'opposition du noir et du blanc, portée à son paroxysme. Cela nous rappelle que Lubistch est d'abord un cinéaste visuel, et ce jusqu'à l'obsession. Il faudrait découper chaque scène pour montrer comment il compose avec les horizontaux, les verticaux, comment il choisit la place des objets, là où porte le centre de gravité de la caméra, etc. Je n'ai, hélas, pas le temps de donner rationnellement preuve de ce qui se perçoit d'instinct. Mais Lubitsch ne laisse rien au hasard. La scène la plus marquante de ce point de vue est le moment où la veuve en a assez de jouer ce rôle et où sa garde-robe passe du noir au blanc et son chien en même temps ! Le comique de la situation ne doit pas masquer quelque résolution plus profonde : montrer comment l'humeur du personnage peut teinter l'univers qu'il habite. Le film est construit en trois longs actes, marqués par la reprise d'une valse, qui les coupe transversalement. On retient souvent des films de Lubitsch les dialogues qui font mouche, mais la Lubitsch Touch se distingue avant tout par des mouvements de caméra et des trouvailles visuelles, toujours malicieuses et justes. Je regrette de ne pas avoir de captures d'écran à ma disposition pour vous faire goûter cet art exquis de la mise en scène dont l'élégance est la moindre des qualités.
    Le Comte Danilo est un "lady killer". Entendez par là qu'aucune vertu ne lui résiste ; d'ailleurs, la vertu n'existe pas ou bien elle se nomme à propos. Toutes les femmes sont folles de lui, mais ses multiples attachements ne suscitent aucun drame. Ces relations à double ou triple sens ont déjà été évoquées avec tact dans Design for living. L'amour est libre et joyeux, comme presque toujours chez Lubitsch. Nulle jalousie ou tragédie engendrées par l'amour qui s'effeuille aux quatre vents. Danilo aime pour l'éternité mais l'éternité ne dure, pour lui, que jusqu'au lendemain matin... Jusqu'à ce qu'une dame lui pose des questions auxquelles il n'a plus envie de se dérober. Et c'est le début de la fin du séducteur implacable. Qui ne s'en féliciterait pas ?
    Captain Danilo: You're the freshest Fifi I've ever met. 

    Sonia: But a nice Fifi.

    Captain Danilo: How nice?

    Sonia: Not too nice.

    Captain Danilo: Your right eye says yes, and your left eye says no. Fifi, you're cockeyed!
     Bande-annonce et extraits ici.

    Je me dois également de vous prévenir qu'il existe en zone 2 (DVD allemands) des films muets de Lubitsch assez difficiles à se procurer (sinon en zone1, mais plus cher), pour un prix modique :
    Les cartons ne sont pas sous-titrés en français, mais une connaissance limitée en allemand vous permettra de ne rien manquer.

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