samedi 10 mai 2008
L'homme, soudain, s'est excusé, puis il s'est baissé et sa main a frôlé et caressé la couverture verte du lac ; il a ramassé deux pommes de pin qu'il m'a tendues sans prononcer une parole.
Deux petits fragments d'un lieu qui n'existe que pour ceux qui y croient vraiment.
Elles ont rejoint mon musée Barrie et, bientôt, l'une d'entre elles quittera cette demeure... pour une autre qu'elle suppose tout aussi accueillante pour les esprits du temps passé.



« In Surrey, about a couple of miles to the south-east of Farnham, on the road which runs towards Tolford, an then on, over Frensham Common, to Hindhead. There it still stands, and still in the thick, scented pine-woods that grow on that sandy soil. » (The Story of J. M. B., Denis Mackail, London, Peter Davies, 1941, p.295)

C'est ici que je suis allée, le 28 avril 2008.

« LADY CAROLINE (with but languid interest). Where do you propose to take us?
PURDIE. To find a mysterious wood. (With the word 'wood' the ladies are blown upright. Their eyes turn to LOB, who, however, has never looked more innocent). »

« LOB (with a pout for the credulous). It is all nonsense, of course; just foolish talk of the villagers. They say that on Midsummer Eve there is a strange wood in this part of the country. »

« LOB (forced to the disclosure). They say that in the wood you get what nearly everybody here is longing for--a second chance. »

(Dear Brutus, J. M. Barrie)

*******

Pour comprendre l'importance - aux yeux de J. M. Barrie, puis au regard de ceux qui se soucient encore de lui - de Black Lake et de son cottage, il faut connaître un peu la vie et l'oeuvre du génie scots, qui était autant un écrivain qu'un créateur d'îles psychiques, parfois matérialisées dans l'ordinaire réel, sans que l'on sache qui, de l'endroit ou du créateur affamé, avait fait sien l'autre. Ces deux activités étaient d'ailleurs toujours liées en lui. À  chaque livre correspondait une île. Ce serait lui faire tort que de ne point comprendre sa capacité à "mesmériser" autant les lieux que les êtres et à les incorporer dans son oeuvre, après les avoir infiltrés ou "barrienisés". S'il y a un secret du génie barrien, il se situe dans cette perfection à faire sien, qualité inestimable de notre auteur.
Cette aimantation, à des degrés moindres, est le propre de tous les écrivains, doués ou non, qui vivent toujours à la surface de leur conscience, faisant le guet pour attraper les histoires qui glissent ici et là, d'un monde à l'autre, comme les reflets, nombreux et contradictoires, qui agitent la surface de ce bien nommé "lac noir". En contemplant cette pièce d'eau, habitée quelquefois par un crocodile pas bien méchant et un cygne arrogant, on peut avoir le sentiment de fixer un visage maternel sur lequel dérive toute la gamme chromatique des émotions, de la colère à la tendresse ironique. Mais, du lac, je ne dirai mot, puisque l'endroit est secret et qu'il doit le demeurer... Mais d'île, dans les creux du lac, nous n'avons point trouvé - ni son propriétaire, ni les explorateurs passés... Mais l'île est un ensemble : le bois de pins, le lac et la maison. Black Lake est le parent du "lagon aux sirènes" de Peter Pan... Tous ces "mais" ne sont que les représentations symboliques et graphiques des failles de notre savoir.

Drôle d'aventure, n'est-ce pas ? Suis-je la même personne après avoir fait connaissance avec les lieux ? Que m'a dérobé le bois ? Il est encore trop tôt pour le dire. Pourvu que mon ombre soit toujours là. Je n'ose pas vérifier.


James Matthew Barrie parle de lui-même, dans un discours qu’il prononce devant un parterre de critiques d’art dramatique, et de sa passion pour les îles : « Quelquefois, il se peut que vous vous demandiez pourquoi j’écris tant au sujet des îles et, en effet, j’ai remarqué un certain énervement chez certains d’entre vous quant à ce sujet. Il y a plus d’îles dans mes pièces qu’aucun de vous ne peut en être conscient. Je suis rusé et je leur donne d’autres noms. Il y a une chose pour laquelle je suis très doué et cette chose s’est discrètement glissée dans une île. J’ose dire que ce sont ces îles qui font que vous vous méprenez à mon sujet. J’aurais l’impression d’avoir abandonné tout vêtement si je devais écrire sans une île. Maintenant pourrait-il y avoir une déclaration plus réaliste que celle-ci ? »
 À vous de voir si Barrie se moque ou non de vous. Il paraît sage, comme toujours avec lui, de prendre au pied de la lettre son propos et aussi d’en discerner la tranchante ironie. Personne ne pourrait exécuter plus élégant pied de nez que lui avec une telle lucidité sur son art et sa personne et, en même temps, avec une réelle élégance à ne point trop en dévoiler. Barrie mettra toujours les rieurs et les intelligents de son côté et c’est peut-être la raison pour laquelle les autres, qui ne comprennent pas, le boudent. On en deviendrait snob et méprisant devant tant de désintérêt de la part de ceux qui ignorent ce grand écrivain qui, très sincèrement, vous livre son secret tout en vous tenant à distance avec un humour rageur  ! L’île est bien sûr le motif secret de son œuvre. À condition de comprendre ce qu’est cette île, qui est toujours la même et toujours différente, ne cessant d’apparaître pour mieux se dissoudre... À l'instar de Peter Pan, l'île n'a jamais un sens unique et permanent : sa signification se compose, pour une part, de ce que le lecteur ou spectateur lui offre.
C'est ainsi que Black Lake, le délicieux et mystérieux bois de pins et les alentours forment une île pour certains rêveurs lecteurs. Je le savais avant de m'y rendre et l'ai encore mieux compris lorsque mes pas se sont enfoncés dans cet endroit sableux, spectaculaire et discret.
Si j'avais pénétré dans une photographie ou dans un paysage peint au lieu de le faire dans ce bois, je pense que j'aurais ressenti avec la même acuité le grain si fin et pourtant râpeux de l'atmosphère. Elle ponçait les fragments de ma peau disposée à l'étreinte du lieu.
J'étais nue. Mes émotions à découvert.
Dans le plus grand des dangers et pourtant exaltée.

Un léger brouillard mousseux recouvre en permanence la cime des pins et vous dissimule au reste du monde. Vous savez que vous êtes entrés dans un ailleurs au moment même où vous vous retournez pour contempler d'un air désolé et ravi ceux qui sont restés à l'entrée.
                         


Ce bois est celui dont Barrie disait, en s'adressant aux enfants Davies, qu'il était "le bois du faire-semblant où vous avez atteint l'arbre de la connaissance". Hélas. C'est pourquoi "il est le bois qui disparaît dès qu'on le cherche". Il est comme l'amour, en somme.
Innocence et cœur pur de ceux qui ne voient pas les mêmes choses que les autres.
Black Lake est à Barrie ce qu'est pour certains d'entre nous certain paradis perdu —  paradis, parce que perdu. Mais la comparaison ferait long feu. Black Lake est un endroit mythique non seulement parce que Barrie a fait germer en cet endroit les fragments qui allaient donner naissance à Peter Pan, par le prisme de ses amitiés croisées avec Sylvia Llewelyn Davies et ses enfants, lors de ce "terrible été", mais aussi parce que le lieu lui avait volé quelque chose lors de la cristallisation de son imaginaire. Il y a toujours un sacrifice à faire pour que le mythe devienne éternel. Tous les artistes le savent et y consentent de bon gré.
Il faut contempler les photographies du seul exemplaire survivant au monde de The Boy Castaways et lire les pages qui précèdent désormais la pièce Peter Pan, "To the Five - A Dedication" (faites-moi songer à en donner une traduction sur mon site), pour prendre la mesure de cet endroit et expliquer son pouvoir de fascination.
Il faut aussi songer à la douleur de la séparation qui allait affecter le couple Barrie - lui, surtout. Après leur divorce, Jamie ne reviendra jamais sur les lieux du crime, celui de sa femme délaissée qui a croisé le regard de Gilbert Cannan, Mary A—, cette actrice probablement pas très douée, qui a couvé son jardin comme un enfant — celui qu'elle n'aura jamais, lui permettant de s’agrandir démesurément, le façonnant sans cesse... Création continuée dont il ne reste pas grand-chose aujourd'hui, car la nature reprend ses droits et que rien n'est plus changeant qu'un jardin...

Entre les arbres du bois, on aperçoit le fameux cottage de James Matthew et de Mary A—.


La photographie ci-dessous montre le cottage à l'époque où Barrie et son épouse y vivaient. Le cliché est extrait du livre de Mary Ansell (Barrie) consacré à Black Lake Cottage. Dommage que les deux photographies n'aient pas été prises sous le même angle. Petit regret que mon fétichisme me pousse à émettre.


Au fond, Black Lake Cottage a toujours été son royaume. C’est elle qui l’a acheté.
Mais Blake Lake était sa possession à lui et il a rendu ce sombre et fascinant endroit mythique.

J'ai eu la chance de pouvoir visiter le cottage, qui, après avoir été un hôtel, a été scindé en deux maisons.





[Le copyright de ces photographies appartient aux propriétaires respectifs des deux maisons que je remercie pour leur bienveillance et leur immense patience. Je reproduis ces images avec leur permission et tout autre personne n'en possède pas le droit.]

Grâce au livre de Mary Ansell (Barrie), The Happy Garden, et à la sagacité de Robert, nous avons pu établir des lignes de démarcation entre l'ancien (ce qui appartenait à l'époque de Barrie) et le moderne.
Par exemple, j'ai pu retrouver l'endroit exact où était disposé le fauteuil de Barrie grâce à la photographie de cet article... 


La cheminée que l'on entrevoit est toujours là, presque identique. Je pourrais poser la photo sur le mur et laisser le lieu actuel prolonger en hauteur et en largeur l'image gravée sur la feuille. C'est un grand bonheur d'avoir l'illusion de pouvoir s'approprier des lieux et une époque révolue, ne serait-ce qu'un instant...


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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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